Le goût est naturel à tous les hommes, mais ils ne l’ont pas tous en même mesure, il ne se développe pas dans tous au même degré, et, dans tous, il est sujet à s’altérer par diverses causes. La mesure du goût qu’on peut avoir dépend de la sensibilité qu’on a reçue ; sa culture et sa forme dépendent des sociétés où l’on a vécu. Premièrement il faut vivre dans des sociétés nombreuses pour faire beaucoup de comparaisons. Secondement il faut des sociétés d’amusement et d’oisiveté ; car, dans celles d’affaires, on a pour règle, non le plaisir, mais l’intérêt. En troisième lieu il faut des sociétés où l’inégalité ne soit pas trop grande, où la tyrannie de l’opinion soit modérée, et où règne la volupté plus que la vanité ; car, dans le cas contraire, la mode étouffe le goût ; et l’on ne cherche plus ce qui plaît, mais ce qui distingue.
C’est une ineptie d’exiger d’eux qu’ils s’appliquent à des choses qu’on leur dit vaguement être pour leur bien, sans qu’ils sachent quel est ce bien, et dont on les assure qu’il tireront du profit étant grands, sans qu’ils prennent maintenant aucun intérêt à ce prétendu profit, qu’ils ne sauraient comprendre
Vous voulez qu’il soit docile étant petit : c’est vouloir qu’il soit crédule et dupe étant grand.
Il est aisé de convaincre un enfant que ce qu’on lui veut enseigner est utile : mais ce n’est rien de le convaincre, si l’on ne sait le persuader. En vain la tranquille raison nous fait approuver ou blâmer ; il n’y a que la passion qui nous fasse agir ; et comment se passionner pour des intérêts qu’on n’a point encore ?
Ne montrez jamais rien à l’enfant qu’il ne puisse voir.
L’amour-propre, qui se compare, n’est jamais content et ne saurait l’être, parce que ce sentiment, en nous préférant aux autres, exige aussi que les autres nous préfèrent à eux, ce qui est impossible
Je n’aime point les explications en discours ; les jeunes gens y font peu d’attention et ne les retiennent guère. Les choses ! Les choses ! Je ne répéterai jamais assez que nous donnons trop de pouvoir aux mots ; avec notre éducation babillarde nous ne faisons que des babillards
Il faut parler tant qu’on peut par les actions, et ne dire que ce qu’on ne saurait faire.
En général, ne substituez jamais le signe à la chose que quand il vous est impossible de la montrer ; car le signe absorbe l’attention de l’enfant et lui fait oublier la chose représentée.
Au lieu de coller un enfant sur des livres, si je l’occupe dans un atelier, ses mains travaillent au profit de son esprit : il devient philosophe et croit n’être qu’un ouvrier.
Les hommes ne sont point faits pour être entassés en fourmilières, mais épars sur la terre qu’ils doivent cultiver. Plus ils se rassemblent, plus ils se corrompent. Les infirmités du corps, ainsi que les vices de l’âme, sont l’infaillible effet de ce concours trop nombreux. L’homme est de tous les animaux celui qui peut le moins vivre en troupeaux. Des hommes entassés comme des moutons périraient tous en très peu de temps. L’haleine de l’homme est mortelle à ses semblables : cela n’est pas moins vrai, au propre, qu’au figuré.
Les villes sont le gouffre de l’espèce humaine. (p45)