Au milieu de l'étendue d'eau se dressait une île entourée d'une couronne sauvage de roche grise et de pins vert foncé. Sur l'île se trouvait un château dont les tourelles s'élevaient au-dessus des cimes des arbres. Le soleil couchant striait le ciel bleu céladon de rayures rouges cru et orange lumineux.
Je connaissais cette vue, chaque vague, chaque rocher qui faisait saillie, chaque branche de pin qui s'arquait, se tendait pour crever le ciel qui saignait. Ce paysage m'était aussi familier que ma propre rue, mais même dans mon rêve, je sus qu'il s'agissait d'un endroit où je n'avais jamais été.
Les yeux clos, je tendis la main vers ma lampe de chevet pour éteindre. Puis j'ouvris les yeux et regardai dans le miroir.
Quelque chose d'indéfinissable avait changé. Je voyais toujours ma chambre, mais à présent, une obscurité générale baignait les contours, un flou pas très différent de l'aspect un peu passé d'une photo ancienne, jaunissante, abîmée par l'âge et craquelée sur les bords. Mon reflet s'était également modifié de manière similaire et tout aussi impalpable. Parce qu'il faisait sombre, je ne distinguais pas mes yeux, mais mes épaules voûtées et resserrées suggéraient l'allure affectée d'une jeune fille perchée au bord d'une chaise ancienne trop grande pour elle. Quand je détendais instinctivement mes épaules afin de dissiper l'illusion, mon image m'imita, mais avec un temps de retard, me sembla-t-il, comme pour me faire comprendre qu'elle ne s'exécutait que par tolérance, et certainement pas parce que les lois de la physique l'y forçaient.
Elle regarda la masse sombre de l'île qui se dressait sur le lac, telle une forteresse, à une trentaine de mètres de distance. En fait, elle donnait l'impression de s'élancer hors de l'eau et vers le ciel, plus haute que n'importe quelle île qu'elle avait pu voir au cours de son existence. Elle se demanda si c'était un effet d'optique dû au clair de lune. En général, Brenda n'avait aucune difficulté à s'orienter en fonction de sa position relative au lac. Mais là, elle devait bien admettre qu'elle ne savait pas où elle était. Cette pensée était déjà en soi un peu excitante, mais plutôt mourir que de le reconnaître face à cet abruti de Sean, même si elle commençait à apprécier la tournure que prenait la soirée plus qu'elle ne l'aurait cru.