Mélancolie
- A Domingo Bolivar
Frère, toi qui possèdes la lumière, dis-moi la mienne.
Je suis comme un aveugle. Je vais sans but et je marche à tâtons.
Je vais sous les tempêtes et les orages
Aveugle de rêve et fou d’harmonie..
Voilà mon mal, Rêver. La poésie
Est la camisole ferrée aux mille pointes sanguinaires
Que je porte en mon âme. Les épines sanglantes
Laissent tomber les gouttes de ma mélancolie.
Ainsi je vais, aveugle et fou, par ce monde amer ;
Parfois le chemin me semble interminable,
Et parfois si court…
Et dans ce vacillement entre courage et agonie,
Je porte le fardeau de peines que je supporte à peine.
N’entends-tu pas tomber mes gouttes de mélancolie. ?
Jeune, je te fais offrande de cette coupe d’argent
Pour qu’un jour tu puisses calmer la soif ardente,
La soif qui par son feu tue plus que la mort.
Mais tu dois te désaltérer à une seule source.
Une autre que la sienne devra t’être ingrate ;
Cherche son origine occulte dans la grotte vivante
Où la musique interne de son cristal détache,
Près de l’arbre qui pleure et du rocher qui sent.
Que te guide le mystérieux écho de son murmure ;
Gravis les rochers escarpés de l’orgueil,
Descends par la conscience et plonge dans l’abîme
Dont sept panthères gardent la sombre entrée ;
Ce sont les Sept péchés, les sept bêtes féroces.
Emplis la coupe et bois : la source est en toi-même.
- LA SOURCE
Le sonnet de treize vers
D’une juvénile innocence
Que conserver sinon le subtil
Parfum, essence de son Avril,
La plus merveilleuse essence !
Pour lamenter ma conscience
Dans un ivoire sonore s’est figé
un conte des Mille et
Une nuit de mon existence
Shéhérazade s’est assoupie…
Le Vizir est resté pensif….
Dinarzade a oublié le jour
Or l’oiseau bleu est revenu….
Mais…
Néanmoins
A la condition…
Que
Aime ton rythme et rythme tes actions
Sous sa loi, de même que tes vers ;
Tu es un univers d’univers
Et ton âme une source de chansons.
La céleste unité que tu présupposes
Fera jaillir en toi des mondes divers,
Et au son de tes nombres épars
Pythagorise dans tes constellations.
Écoute la rhétorique divine
De l’oiseau de l’air et devine
La nocturne irradiation géométrique.
Tue l’indifférence taciturne
Et enfile perle sur perle cristalline
Là où la vérité renverse son urne.
- AIME TON RYTHME
« Médaillons » III
WALT WHITMAN
Dans son pays de fer vit le grand vieillard,
beau comme un patriarche, saint et serein.
Il y a dans la ride olympique de sa gabelle
quelque chose de noble, de conquérant et d’enchanteur.
Son âme est comme le miroir de l’infini ;
ses épaules éreintées sont dignes de la mante ;
et d’une harpe ouvrée dans du chêne vieilli
tel un nouveau prophète il chante son chant.
Aruspice soufflant un souffle divin,
il annonce pour l’avenir un temps meilleur.
Il dit à l’aigle ; « Vole ! » ; « Vogue ! » au marin,
et « travaille ! », au robuste travailleur.
Ainsi va ce poète sur son chemin
avec son visage superbe d’empereur !
/Traduction de l’espagnol (Nicaragua) par Jean-luc Lacarrière
La tigresse de Bengale
pelage zébré et lustré
est affable et joyeuse, tout en beauté.
D’un tertre aux pentes raide elle saute
vers un pré de carex et de bambous ; et c’est là
à la roche qui s’érige à l’entrée de son trou.
Puis elle lance un feulement rauque,
s’agite comme une diablesse
et de plaisir hérisse son pelage fou.