La proie des âmes

Connaissez-vous la sensation que l'on éprouve lorsque, suivant tranquillement son bonhomme de chemin, sans se préoccuper du temps qu'il fait, on se laisse surprendre par les nuages qui cachent brusquement le soleil et que, la lumière se faisant rare, on se retrouve soudain dans un tout autre paysage que celui dans lequel on évoluait une seconde plus tôt ? Eh bien, cela m'a fait le même effet : en l'espace d'un instant, la physionomie de ma journée a été bouleversée.

C'est l'horreur. Perdre conscience du temps qui a passé, ce n'est jamais bon - c'est un signe de folie, et cette folie prouve que Penny est une horrible femme, une bonne à rien -, mais il y a des degrés dans l'horreur, et se retrouver ainsi au lit avec un inconnu, c'est toucher le fond.

Savoir qui je suis, c'est savoir pourquoi je suis, et j'ai toujours su qui j'étais, depuis les tout premiers instants.

Elle ne hurle pas. Elle aimerait bien, mais lorsque l'on passe sa vie à perdre conscience du temps - et à le cacher - on apprend à contrôler ses réactions.

- Ne vous en faites pas, lui dis-je. Si quelqu'un tente de m'attaquer, il ne fera pas le poids face à nous.
C'est une vieille blague, un classique chez les personnalités multiples, d'ordinaire elle m'attire au minimum un sourire poli, mais Mrs Winslow se contenta de me donner une tape sur le bras avant de dire :
- Vas-y, alors. Il ne faudrait pas vous mettre en retard, tous autant que vous êtes.

- Les fous ne tentent pas de camoufler leurs crimes, répliqua mon père. Il sait pertinemment que c'est mal, ce qu'il a fait, et il cherche à sauver sa peau. Ce n'est pas un fou. C'est un monstre d'égoïsme.