Idaho... le nom de cet état, né d'une supercherie, habille parfaitement l'histoire sombre d'une famille piquée par les secrets et les souvenirs sur fond de démence et folie meurtrière.
La plume est habile, intelligente et enflammée. Plus rarement, je me suis perdue dans un style quelque peu sophistiqué où la simplicité m'a parfois manqué.
La construction asymétrique des chapitres par période m'a ravie. Une narration sur cinquante ans où le temps se construit puis s'évapore, se faisant tour à tour présent et passé. L'accouplement de ces étapes insuffle un phrasé rythmé, suave et progressif dans lequel l'avenir se dessine doucement.
C'est avec ravissement que j'ai découvert et aimé les personnages secondaires.
William et Beth qui vont retrouver leur amour suite à la rencontre d'un père brisé.
"Tout ce qu'elle a fait à partir de ce moment-là, elle l'a fait à la lumière de ces instants où William tenait l'homme."
Eliot, ce jeune homme paradoxal, qui navigue entre force et vulnérabilité.
"Parfois, Éliot rêve de l'embarcadère à travers lequel il est tombé. Ce rêve ne diffère guère du souvenir lui-même ; le sommeil ne le rend pas plus étrange ni clair."
Elizabeth, une amie pour la vie, animée par l'insouciance et la spontanéité de l'enfant qu'elle a été. Elle aimera Jenny comme une mère. Jenny, celle par qui le grand malheur arrive.
"Elizabeth avait entendu parler du long et douloureux silence de Jenny, et plusieurs fois elle avait vu Jenny récurer les couloirs, exhibant sa soumission au malheur. [...] L'absence de Jenny semble mieux la décrire que sa présence ; elle est un navire sur le point d'accoster mais qui diffère lui-même son arrivée."
J'ai aimé le souffle de la chienne Peggy-Rose, la force du chien Roo et le mystère du chat Rocket.
Les animaux oeuvrent en communion avec les rocheuses, la forêt vertigineuse, les saisons qui s'achèvent et réapparaissent au creu du "Joyau des Montagnes".
L'hiver est rude. La neige effrayante. On attend les mois d'été avec une impatience non dissimulée... May & June. Deux symboles du Joyau des Montagnes. May sera la cadette et défiera ainsi l'ordre chronologique.
Les protagonistes, intéressants et ambiguës, m'ont toutefois moins séduite. J'ai apprécié les imaginer glisser en mouvement entre les vagues du roman. J'ai pris plaisir à les suivre, sans toutefois ressentir d'empathie particulière.
"Pour la première fois, il se sent vivre à l'intérieur de sa vie ; il a l'impression d'en être arrivé au centre."
Ann, Wade et Jenny. May et June. Adam. Troublantes existences.
Autant de destins pris dans la glace du désespoir, pour l'amour et par la peur, la déraison, la maladie...
"May. Un prénom qui semble demander la permission, une permission qui ne revient pas à Jenny d'accorder. Si c'était le cas, elle s'empresserait de l'accorder à tout ceux qui la lui demanderaient."
Emily Ruskovich nous chante le cri de la mémoire.
Lu en juillet 2019.