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Critique de Fava


Un petit livre facile à lire, mais difficile à comprendre. A la fin de ma 1ère lecture, j'étais interloquée. Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ? Il y avait forcément un sens, ces 4 récits ressemblaient trop à des contes philosophiques pour qu'il n'y ait pas une « morale » à en tirer ! Mais laquelle ?
Ce n'est qu'après réflexion et une relecture de certains passages que tout – ou presque ! - a fini par s'éclairer.
Je crois que Shan Sa a voulu, à travers l'histoire de ce couple d' « âmes jumelles » qui se réincarne 4 fois, montrer la difficulté et l'évolution des relations hommes/femmes en Chine au cours des 5 derniers siècles – évolution radicale s'il en est.
Dans la 1ère histoire, au XVe siècle, un couple aimant est séparé parce que l'homme, par ambition, va négliger son amie humble, douce et soumise. Il ne sait pas reconnaître la valeur de celle qui, même abandonnée, ne se plaint de rien. Il sera bien puni : il perdra tout, en perdant son « âme-soeur ».
C'est l'époque où la femme est totalement soumise et ne participe en rien à la vie politico-sociale.
Dans la 2e histoire, fin XIXe siècle, nos deux âmes soeurs se sont réincarnées sous forme de jumeaux, un garçon et une fille. L'inégalité est la règle : au garçon les honneurs et la liberté, à la fille le mépris et l'esclavage, résumé par les pieds bandés et les atroces souffrances que cela implique. Pourtant, lorsque le garçon, inculte et débauché, commet l'irréparable, c'est sa soeur qui le sauve de la colère du père. Et c'est elle encore qui, à la mort des parents, plus instruite et plus intelligente, va gérer rationnellement le domaine familial.
A cette époque, les femmes ne sont toujours pas libres, mais leur valeur commence à être reconnue.
Dans la 3e histoire, au XXe s., les deux saules sont devenus des Gardes Rouges de la Révolution Culturelle. Ces deux étudiants maoïstes, égaux en droits et en devoirs, partagent le même idéal et les mêmes souffrances. Mais le couple est encore séparé : le garçon sera arrêté, jugé, condamné et emprisonné à cause d'une grave erreur de la fille, et pour se racheter elle se sacrifie, jusqu'à être tuée pour avoir voulu le nourrir en prison.
La Révolution Culturelle a enfin établi l'égalité hommes/femmes. Mais c'est encore la femme qui représente le dévouement, la douceur et l'amour dans un monde de trahison et de violence.
Enfin dans la 4e histoire, nous sommes à l'époque contemporaine. La femme est devenue totalement indépendante. Célibataire, ambitieuse, voire dominatrice, elle gère sa vie à sa guise et a inversé les rôles ! Pourtant, elle continue à rêver d'un prince charmant qui serait son âme soeur… Mais si son équivalent masculin est aussi égoïste qu'elle (peut-être est-ce une « banane » ?), ils ne pourront jamais vivre ensemble…
Donc, il s'agit donc bien de 4 histoires « philosophiques » qui ne prennent leur sens que comparées l'une à l'autre. Outre cette analyse pertinente de l'évolution de la condition féminine en Chine, le livre aborde bon nombre de thèmes sensibles, tels que la vanité des ambitions humaines (« la vie n'est que songe et poussière »), le caractère dérisoire de l'argent et de la puissance, qui ne font en rien le bonheur, la beauté de la nature, qu'il faut savoir voir et écouter, l'importance de la fidélité, de la modestie et du dévouement, pour contrer les tendances à la violence qui prévalent trop souvent dans le monde…
Le livre nous fait voyager dans le temps et l'espace, à travers la Chine, à la découverte d'une culture et d'une histoire qui nous surprend à chaque page. (Par exemple, je connaissais la coutume des pieds bandés, pas je n'en avais pas compris toute l'horreur, la mutilation que cela représentait pour les femmes).
Le roman est bien écrit, malgré quelques choix narratifs un peu discutables à mes yeux (dans le 2e récit, l'alternance du « je » et du « il » m'a gênée). Les nombreuses comparaisons et métaphores et les touches de féérie lui donnent un caractère incontestablement poétique et très chinois.
Un bon petit livre, donc, même s'il n'est pas aussi « fort » que La Joueuse de Go ! Mais une sorte de conte philosophique, un genre qui n'a pas perdu de son efficacité.
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