Captivant.
Un roman d'anticipation captivant, oui, à plus d'un titre, qui nous transporte quelques siècles dans le futur, disons dans les années 2500 – histoire de fixer un ordre de grandeur !
Au regard du rythme de l'évolution que nous connaissons depuis un demi siècle, c'est le temps qu'on peut estimer nécessaire, en effet, pour que s'établisse ce monde de fiction, marqué par l'expansion de la migration des terriens vers les exoplanètes. le temps nécessaire pour que plusieurs groupes, ainsi dispersés, puissent acquérir des caractéristiques culturelles bien spécifiques, voire mutent quelque peu physiquement, au point que l'on puisse observer qu'ils sont humains certes, mais certainement plus terriens, comme ici :
« Joar s'étonna de sa taille et reconnut les caractéristiques de ces générations d'hommes et de femmes ne connaissant plus la Terre. Nés dans l'espace, à une époque où les voyages duraient des années, ils y avaient grandi et donné ces individus qui, soumis à une gravité artificielle, avaient cru d'une manière démesurée. »
Jean-K-Saintfort n'est pas du genre à tourner autour du pot ! Dès le prologue il nous fait toucher le coeur du sujet, en abordant deux thématiques qui vont s'entrelacer tout au long du roman. D'une part, la question de la non-violence en tant qu'acte politique d'opposition et de libération, d'autre part, la prise en compte de la dimension émotionnelle dans l'évolution des échanges entre cultures différentes.
Encore une citation, si vous me le permettez, pour illustrer et le style et le thème :
« Vous me fuyez car chaque impalpable frôlement de ma main est une caresse, un vent léger effleurant votre âme mais, surtout, un feu ardent qui vous dévore. Vous avez peur de la force de vos émotions. Pourtant, elles vous permettent de communier avec le monde. »
En technicien averti, l'auteur provoque une immersion immédiate à travers un procédé simple et direct : chaque chapitre est introduit par un extrait du journal de bord de l'anthropologue, Joar Szukajacy, envoyé en mission sur l'exoplanète Fergiss. Ces textes, qui contextualisent clairement l'action, sont par nature les réflexions d'un scientifique pétri d'humanisme et donnent à chaque épisode une perspective philosophique et politique.
Par ailleurs la tension dramatique est continuellement nourrie par un compte à rebours reposant sur l'approche d'un événement mystérieux appelé “
Le dernier temps ”.
Ainsi, la construction et le cadrage du récit sont impeccables, la narration est habilement séquencée, le style est classique et la langue soutenue, les dialogues sont justes et bien rythmés.
C'est, selon moi, le traitement des personnages et de leurs interactions qui constitue la plus grande singularité et l'indiscutable qualité de ce roman. Jean-K-Saintfort a créé une dizaine de caractères bien définis, chacun possédant une aura, une présence unique, données à voir et à sentir avec beaucoup de précision et de finesse. le parcours de chacun d'eux dans la progression dramatique est parfaitement mené et apporte à l'histoire un pan de vérité d'ordre psychologique et émotionnel, et joue un rôle logique dans la dynamique du roman.
Cette dynamique démarre sur le fond d'un malentendu. La nature de la mission que la Confédération confie à Joar n'est pas celle qu'il croit. Désormais consacrée à l'exploitation minière du prométhéum, il est impératif que l'exoplanète Fergiss conserve cette fonction industrielle première. Pas question d'y faire une place aux Errants – qui en ont fait pourtant leur planète-mère bien avant que la Confédération y implante des exploitations minières. Aussi quand ce peuple – migrant par vocation – y revient pour y vivre “
Le dernier temps” il s'agit pour la Confédération, sous prétexte de rencontre mutuelle, de contrecarrer le plus radicalement possible leur plan supposé de reconquête. Joar, quant à lui, informateur malgré lui, est convaincu d'être missionné pour une étude bienveillante et approfondie des spécificités culturelles de ce groupe, réputé pour son caractère non-violent.
Pour conclure, un roman vigoureux et positif, riche de toutes les facettes que présente l'aventure humaine de Joar : la découverte progressive du cynisme politique dont il est le jouet, résultat de la domination des injonctions économiques, son ouverture progressive aux échanges émotionnels avec les Errants, la perception de leurs facultés mentales extraordinaires, l'expérience de leur immense sagesse, sa douloureuse impuissance devant la tragédie qui les frappe, l'affirmation des sentiments qu'il éprouve au delà des doutes et de la distance que lui impose la rigueur de sa démarche scientifique, son engagement enfin dans un destin qui dépasse le sien propre, porteur d'un avenir fécond.
Un dernier extrait pour le plaisir et vous mettre en appétit :
« — J'ai bien du mal à croire encore en la Confédération, en l'humanité…
— Tu le dois. Nous le devons tous. Si nous ne croyons pas à la liberté humaine, si nous ne conservons pas notre foi en l'être humain, sur quoi bâtir l'avenir ? En quoi garder espoir ? Nous choisissons la vie, la tolérance, la bienveillance. L'idéologie de mort qui a détruit notre peuple est toujours là, sous-jacente, insidieuse, pernicieuse. Elle se diffuse. Elle rejaillira. Il nous faut la combattre, lutter contre la haine, la terreur, la violence sociale… Si notre histoire pouvait permettre une prise de conscience collective…
— Tu y crois ? Vraiment ?
— C'est la seule voie possible, Joar. »