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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Usagi Yojimbo, tome 1 (récits parus dans Albedo 2 à 4, Critters 1, 3, 6, 7, 10, 11 et 14, Doomsday Squad, et Usagi Yojimbo Summer Special) qu'il vaut mieux avoir lu avant. Il comprend les épisodes 1 à 6 de la première série (celle publiée par l'éditeur Fantagraphics), initialement parus en 1987/1988), écrits, dessinés et encrés par Stan Sakai. Cette série est en noir & blanc. Il comprend une introduction d'une page écrite par Mark Evanier, le coscénariste et dialoguiste de Groo, série créée par Sergio Aragonés (Mad auteur : Sergio Aragonès), dont le lettrage est assuré par Stan Sakai. Ce tome comprend 4 histoires, la première d'environ 90 pages, et les 3 autres plus courtes (entre 20 et 10 pages).

Samourai (90 pages) - Dans une zone herbeuse en bordure d'un chemin, Miyamoto Usagi fait face à Gunichi, un autre rônin. Immobiles, ils s'observent sans avoir dégainé, prélude à une attaque aussi foudroyante que soudaine et définitive. Alors qu'Usagi essuie la lame de son katana pour en enlever le sang de son adversaire, Murakami Gennosuke fait son apparition, ayant observé le duel de loin. Les 2 font un bout de chemin ensemble, et Usagi accepte de raconter à Gennosuke comment il est devenu un rônin, son entraînement auprès de Katsuichi, l'entrainement de son ami d'enfance Kenichi dans une école d'arts martiaux, l'étrange rivalité s'étant développée entre eux du fait des circonstances, la manière dont il est entré au service du seigneur Mifune. Il finit par en arriver aux raisons et circonstances du duel auquel a assisté Gennosuke.

Kappa (10 pages) - Miyamoto Usagi traverse un marais et se retrouve devant un kappa (une créature surnaturelle du folklore japonais). Il acquitte du droit de péage exigé par le kappa en lui donnant des concombres. Il progresse dans le marais et aboutit devant une maison, où il demande à s'abriter à la vieille femme qui y habite. Zylla (10 pages) - Un couple de coupeurs de bois (woodcutter) a trouvé un oeuf énorme dans les bois. Ils essayent de le cuire dans une source d'eau chaude, mais il finit par éclore, et la femme et l'homme préfèrent s'enfuir plutôt que de devoir affronter une créature indéterminée. Peu de temps après, Miyamoto Usagi vient s'y baigner et est agressé par des bandits souhaitant le délester de sa bourse. Silk Fair (20 pages) - Miyamoto Usagi passe quelques jours dans un village où doit se tenir une fête de la soie. le couple d'ouvriers qui l'hébergent lui explique leur situation économique (salaire de misère) et leur impossibilité d'aller s'installer ailleurs à cause des bandits qui rôdent autour de la ville.

Avec ce deuxième tome et le début d'une série régulière, l'auteur prend confiance en lui et raconte donc l'histoire de son personnage principal. L'ouverture reprend les conventions propres au duel de sabre, avec les combattants s'observant pour se jauger, sans rien laisser paraître avant de se lancer l'un sur l'autre, pour se porter un unique coup fatal. Stan Sakai met en scène ce face à face dans des cases de la largeur de la page pour un effet panoramique efficace. Alors même que l'amitié entre Usagi et Gennosuke semblait très relative, le premier raconte l'histoire de sa vie au second en toute ingénuité, dans un dispositif narratif qui permet de relier le temps présent, avec le temps passé. Au-delà de la faible vraisemblance de telles confidences aussi exhaustives, le lecteur observe que le scénariste maîtrise les conventions de ce genre de récit. La phase d'apprentissage aux côtés du maître Katsuichi défie les codes des comics, pour une approche plus réfléchie, pour des leçons plus subtiles. Alors que l'enfant attend avec impatience de manier le sabre, il se retrouve à effectuer les corvées d'eau et de bois. Alors qu'il pense qu'il va bénéficier d'explications et de pratique de passes d'arme, il se fait rabrouer régulièrement et surprendre par son mentor qui en profite pour le frapper d'un coup ou le faire choir alors qu'il ramène un seau plein d'eau

Stan Sakai persiste et signe dans son approche graphique, à commencer par le choix de personnages sous forme d'animaux anthropomorphes. Bien sûr, Katsuichi est un lion, un peu marqué par le poids des ans, avec une allure noble et posée, à l'opposé de l'entrain non canalisé de son jeune protégé. Mais cependant, le dessinateur n'en fait pas de trop dans le choix des animaux, évitant une dichotomie entre les animaux nobles et utiles pour Usagi et ses alliés qui auraient été opposés à des animaux nuisibles et repoussants pour les ennemis. Il continue d'hésiter de temps à autre, entre des dessins épurés pour en faciliter la lecture, et des décors avec plus de détails et de texture pour leur donner plus de consistance. Il n'y a néanmoins pas de solution de continuité dans ces 2 formes de représentation. de temps en temps, le lecteur attentif observe que l'artiste teste des idées différentes, comme par exemple des traits plus fins pour les contours, ou des cieux tourmentés pour rendre compte de l'état d'esprit des personnages, ou encore une page avec 16 cases de même dimension pour rendre compte de la rapidité des coups portés pendant une bataille.

Tout du long de ces 6 épisodes, le lecteur apprécie la lisibilité très rapide des dessins, ainsi qu'une forme très discrète d'attention portée aux détails. Comme dans le premier tome, il est visible que Stan Sakai a passé plus qu'un minimum de temps pour se familiariser avec les constructions de l'époque et le mobilier courant, ainsi que les tenues. le dessinateur ne se fait pas plaisir en étalant sa culture au travers de cases dédiés à ces aspects de la vie courant à l'époque, par contre ces détails sont toujours justes et exacts dans les scènes du quotidien. Ce souci d'une authenticité, même avec un rendu simplifié, augmente le plaisir de lecture. Sakai conserve les particularités des combats établies dès le premier tome : les épées coupent et entaillent, mais les blessures ne sont jamais apparentes. Il y a parfois du sang, mais c'est très rare et uniquement pour attester de la gravité d'une blessure incapacitante. Lorsque des guerriers meurent, c'est hors champ de la case/caméra, et ils rendent souvent leur dernier soupir sous la forme d'une tête de mort animale dans un phylactère. Enfin, les étranges tokage (mi lézard, mi petit dinosaure) font partie de la faune locale comme s'ils existaient vraiment.

Au fur et à mesure de la découverte de la jeunesse d'Usagi, le lecteur discerne la source d'inspiration de Stan Sakai, et en conclut qu'il s'agit d'un hommage réalisé sciemment. Une fois passée la phase d'apprentissage, il y a donc cette étrange forme de rivalité et d'opposition avec son ami d'enfance, ainsi que la mort de son daimyo sur le champ de bataille qui fait passer Usagi de l'état de samouraï à celui de rônin. Tout cela évoque le roman d'Eiji Yoshikawa disponible en 2 tomes en français : La Pierre et le Sabre & La Parfaite lumière. D'ailleurs le nom même de Miyamoto Usagi est une référence à celui du personnage historique de ce roman : Takezo Shinmen qui prend par la suite le nom de Miyamoto Musashi. L'amateur de manga reconnaît également quelques éléments du manga Vagabond de Takehiko Inoué, une adaptation du même roman, dont la prépublication a débuté en 1998, soit 10 ans après le début d'Usagi Yojimbo.

Non seulement les animaux anthropomorphes donnent une personnalité totalement unique à cette adaptation très libre, mais en plus Stan Sakai y apporte de nombreuses modifications qui en font plus un hommage qu'une véritable adaptation, faisant de la série une oeuvre originale et autonome. Les 2 histoires courtes suivantes montrent à nouveau Miyamoto Usagi reprendre ses vagabondages, et se retrouver face à une manifestation surnaturelle, puis à un animal fantastique. C'est à nouveau un choix de l'auteur de nourrir les aventures de son héros avec les créatures des contes et légendes folkloriques japonais. le lecteur peut ne pas goûter à ce type d'histoire, mais elles font partie intégrante de la série, Usagi croisant des yokai assez régulièrement. La dernière histoire revient dans une trame beaucoup plus naturaliste, et même sociale, voire politique avec la situation économique d'un couple d'ouvriers et de leurs enfants. À l'instar de Sergio Aragonés dans Groo, Stan Sakai met en scène une forme d'exploitation économique des travailleurs, reflétant une réalité historique, et utilisant Usagi comme un catalyseur du changement, redressant un tort qui relève de l'asservissement capitaliste. Cette histoire, comme les autres, est avant tout une aventure racontée avec légèreté et quelques touches d'humour, mais elle atteste d'une sensibilité et d'un humanisme qui s'expriment avec douceur et intelligence, et un grand respect pour les individus. D'ailleurs Stan Sakai intègre des petites touches d'humour régulièrement, comme une version très personnelle de Godzilla.

Dès ce deuxième tome, Stan Sakai prouve qu'il mérite sa place dans la cour des grands, avec des animaux anthropomorphes improbables, dans un Japon féodal. La qualité de cette histoire tient à la fois de la personnalité nuancée et adulte d'Usagi Yojimbo, de la reconstitution historique intelligente, de la maîtrise des conventions du genre chanbara adapté tout public, d'histoires inventives, des dessins vivants et clairs, et de l'humanisme discret de l'auteur.
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