Citations sur Le don des morts (33)
Ce livre est « le récit d’une vocation de lecteur » (p. 41), elle explique ainsi ce qu’apporte la lecture : « Avec les livres ce n’est pas un monde, c’est le monde qui vous est offert : don que font les morts à ceux qui viennent après eux. » (p. 64)
Pour les analphabètes de notre monde actuel, ne dit-elle pas qu’ « être privé (de livre), c’est être privé du sens des choses : les ‘analphabètes’ d’aujourd’hui le sont bien plus gravement que du temps de mon arrière-grand-mère. Le temps que nous vivons (…) est terrible pour les sans-culture : il ne leur laisse aucune chance. (…) ce qui pourrait être à chaque moment un éveil, une excitation constante pour l’esprit, une source d’inquiétudes, de questions et de rêves, ne le mène à rien, ne débouche sur rien, puisqu’il n’a rien appris. (…). (p. 72)
Et elle poursuit « Quel monde a-t-on quand on n’a rien lu, s’il est vrai que lire c’est avoir un monde, se donner un monde, se constituer un monde ? » (p. 76)
p. 156, elle explique que « Lire, c’est voir. Cette capacité de nous faire voir, de donner quelque chose à voir, voilà le don des grands livres. (…) Quand nous lisons, la résonance des mots lus vibre, il est vrai, muettement dans notre gorge ; mais pour se résoudre aussitôt en une évocation d’images mentales que le sens des mots surgit et fait naître. »
Et ce que j’ai le plus apprécié est cette affirmation « ce qui importe à l’homme c’est de saisir le sens de ses actions ; leur clef. (…) la littérature n’y apporte pas de réponse, mais seulement le déploiement, infini, interminé, de la question »
L'homme a besoin des Lettres: parce que c'est le lieu où tous ceux qui l'ont précédé s'offrent à le guider.
En lisant, je me livre, je m'oublie; je me compare; je m'absorbe, je m'absous.
Le personnage me fait accéder à mon tour au grand règne des métamorphoses. C'est par lui que le roman peut se faire expérience du monde, en m'obligeant à devenir moi aussi un être imaginaire. En lisant, je me livre, je m'oublie ; je me compare ; je m'absorbe, je m'absous. Sur le modèle et à l'image du personnage, je deviens autre. Comme disait Aragon:
« Être ne suffit pas à l'homme / Il lui faut / Être autre » (Théâtre / Roman).
Autre par la méditation du personnage, autre, afin de devenir moi-même et, passant par ma propre absence, ayant fait le deuil de moi-même, capable de comprendre ce qu'il en est de ma vie. C'est ce que Sartre appelait la « générosité » du lecteur : cette mort feinte, cette transmutation provisoire par quoi j'accède au sens, à la compréhension.
Le refuge était dans les livres: là était le monde, le vrai monde, non pas celui des grandes actions ou des sentiments nobles, mais un monde vivant, illuminé par la pensée.
Les livres ne remplacent rien,ils ne sont le substitut de rien:ni des honneurs, ni de l'argent, ni des places, ni de la culture, ni des accomplissements personnels, des satisfactions ou des honneurs privés, mais rien ne remplace les livres, rien ne peut se substituer à eux. Sans les livres, toutes les vies sont des vies ordinaires.
S’il s’agit bien d’accéder au monde afin d’en finir avec l’existence séparée, ce peut être en refusant dans l’imaginaire les conditions qui nous sont faites, en annulant ce monde-ci au profit d’un autre ; en acceptant qu’on défait de comprendre ce monde et de le déchiffrer, je puisse lui en substituer un autre, où je règne.
Si donc, par la littérature , le monde réel se voit doublé d’un monde imaginé, ce n’est pas seulement aux fins du rêve, ou de l’évasion, ou de la distraction, mais de la compréhension : le passage par les livres est nécessaire pour comprendre le monde, soi-même, l’autre, et l’existence. Car pour comprendre, je dois juger, comparer avec la réalité des autres expériences, avec la réalité inventée des expériences possibles. La fiction, résultat de la faculté de feindre, n’est pas une imitation : elle invente, mais si elle invente c’est afin de multiplier les points de comparaison possibles.
Avec la musique on vit mieux, avec les livres on vit autrement.
Lire un livre c'est achever de l'écrire
Depuis des siècles les livres sont le legs des générations disparues - le don que nous font les morts pour nous aider à vivre. Dans notre culture, vivre sans les livres est donc une privation, un tourment qu'on ne peut comparer à rien. Sans les livres, toute vie est une vie ordinaire. Ne pas avoir l'expérience de la littérature n'empêche ni de connaître, ni de savoir, ni même d'être «cultivé» : il manque seulement à la vie vécue d'être une vie examinée. Car les Lettres, c'est notre langage métamorphosé ; ce sont nos mots : et voici que, dans le colloque singulier du livre et de son lecteur, s'ouvrent l'expérience élargie, et la pensée, et le rêve, et la possibilité d'être soi-même, véritablement, dans la communauté partagée. La pratique des livres n'est donc pas, dans notre vie, la part du rêve, un luxe gratuit, un loisir supérieur ou une marque de distinction. Et les intellectuels se trompent gravement lorsqu'ils s'emploient à en dénoncer l'élitisme au lieu de faire que s'ouvre au plus grand nombre le règne émancipateur de la pensée dans les livres.