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Critique de Munin


Munin
07 septembre 2011
A l'heure où des auteurs comme Vandermeer, Duncan ou Miéville tentent de saborder le genre, il est rassurant de voir qu'il existe encore des écrivains qui prennent le lecteur pour ce qu'il est : un placide ruminant qui attend de la Fantasy le même genre de distraction qu'un train qui passe. Et pour satisfaire ce lecteur, le maître mot est l'économie d'efforts. Trop de Fantasy tue la fantaisie : les effets de manche superflus, les créatures bizarres, les théologies surréalistes, les nomenclatures exotiques et imprononçables compliquent votre travail et alourdissent le récit.

Pourquoi se fatiguer, en effet ? Si en SF le suspension of disbelief demande un gros travail de cohérence, si la littérature générale exige une étude approfondie de la psychologie des personnages, la Fantasy a la chance de pouvoir se passer de l'un et l'autre : le lecteur, avant même d'ouvrir le livre, est déjà convaincu des pré-requis que sont la stagnation éternelle au Moyen-Age ou l'existence de la magie. Et s'il a gobé cela, il est prêt à avaler n'importe quelle couleuvre, du moment que les clichés du genre soient présents.

Ces clichés du genre, vous ne pouvez pas vous en passer. La Fantasy, c'est comme les figures imposées du patinage artistique : on n'invente rien d'une performance à une autre, on change juste l'ordre et la qualité d'exécution des figures. Certains auteurs vont essayer d'enchaîner à toute vitesse les figures les plus difficiles, ce qui peut provoquer un roman dense et quelque peu indigeste. D'autres faire tranquillement des tours de patinoire avec de temps en temps un petit entrechat.

Brandon Sanderson, avec le 3e et dernier tome de la série Mistborn, est plus dans le second cas, mais il prend en plus le temps de faire de longs échauffements, histoire d'éviter que le lecteur se claque un muscle dans le cerveau à essayer de se rappeler qui est qui et qui a fait quoi. En fait, Sanderson, soucieux d'être aussi bien lu dans les cours de récréation que dans les maisons de retraite, pensent à ses lecteurs atteints d'Alzheimer et n'hésite pas à faire soliloquer ses personnages pour qu'ils rappellent complaisamment des éléments antérieurs du récit, et leur stade actuel de développement émotionnel (à peu près celui d'un "early teen", pour la plupart des protagonistes, ce qui montre bien quel est le public de prédilection de Sanderson). Les mauvaises langues diront que vu la légèreté de l'intrigue, de tels rappels sont peut-être inutiles, mais au moins ça rend le roman facile à lire, et ça permet à l'auteur de délayer habilement pour étoffer un livre qui, sinon, ferait 175 pages. Au passage, on comprend mieux maintenant pourquoi, alors qu'il devait finir le cycle de Jordan en un tome, Sanderson a finalement prévu d'écrire 3 tomes.

A mois que le fait d'écrire 3 romans soit le résultat du soin qu'il prend à conclure toutes les intrigues en cours, et apporter une réponse à toutes les questions posées. C'est tout à son honneur, ça, le respect du client : de ce côté-là, l'auteur ne s'autorise aucune facilité, aucun effet de manche, et on comprend en lisant le livre que toute la cosmologie de l'univers, les principes de sa magie, et les antécédents des personnages, ont été décidés en amont de l'intrigue du roman. On est pas en face d'un Zelazny qui écrit au fil de la plume, la plupart du temps défoncé à l'acide ! Si Sanderson abuse de quelque chose, c'est plus certainement de tisane verveine-tilleul, vu la vélocité de son récit et l'énergie des scènes d'action qui semblent un peu répétitive après l'accumulation de celles des précédents tomes (mais bon, difficile de faire mieux que la découverte du Wire Fu du premier tome). Loin d'être aussi réussi que le 1er tome, Hero of Ages est bien meilleur que le 2e, où les ficelles pour tirer à la ligne en repoussant la conclusion du cycle étaient bien trop visibles. On peut prendre le lecteur pour un con - et c'est bien ce qu'annonce l'illustration de couverture - mais à condition de lui donner un minimum d'action, de personnages cools et de dialogues truffés de vannes à deux sous.

Bref, Sanderson est un écrivain appliqué et soigneux, méthodique à l'extrême, mais dans la prose duquel on pourrait tailler de moitié pour arriver à quelque chose d'un peu nerveux et enlevé. Ce qui est en fait une super bonne nouvelle : après les décès d'Eddings et de Jordan, on craignait de commencer à manquer d'auteurs de fantasy besogneux capables d'empiler manuscrit sur manuscrit de verbiage édulcoré dans des décors de carton-pâte.
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