Mathilde est un mystère. Un mystère d'allure robuste, masculine même, avec sa grande et large carrure, ses cheveux courts et mal peignés, ses survêtements. Pourtant, bien que physiquement imposante, Mathilde est une discrète, une solitaire, qui a toujours vécu en retrait, exclue mais n'en souffrant pas vraiment, se construisant ainsi, à l'écart et mutique. En compagnie des autres, elle ne sait jamais vraiment très bien comment se conduire, ce qu'il faut dire pour paraître "normale".
D'aucuns la pensent insensible. C'est faux, bien sûr, Mathilde en a, des sentiments, c'est juste que sa vie est vidée par le renoncement, comme anesthésiée.
Quadragénaire, elle travaille au service social du Conseil Général, et vit dans une cité HLM aux côtés d'existences qui louvoient entre pauvreté et misère, des travailleurs précaires, au noir, des jeunes tentés par l'argent facile de la délinquance. Elle y est une sorte de voisine améliorée à qui on peut demander plus qu'une plaquette de beurre, mais qu'on n'invite pas aux fêtes. C'est toujours avec patience et cordialité qu'elle renseigne, aide à constituer les dossiers d'aide sociale.
Bref, elle connaît par coeur les étapes de la chute, mesure la fragilité des vies suspendues au coup dur, à la maladie, elle sait que sortir définitivement de la mouise, ça n'arrive presque jamais... pour autant, elle n'a aucune conscience politique, ne se sent d'affinités avec aucun mouvement, à l'instar de ceux qu'elle côtoie, trop occupés à survivre, trop dépassés pour battre le pavé avec les Gilets Jaunes.
Et pourtant, un jour, elle décide qu'il faut que ça s'arrête. Une rage profonde, face à l'injustice et à l'impuissance de ceux qui la subissent, la submerge. Mathilde part en guerre, pour ses voisins, Mohammed et Nadia. C'est la fin de la trêve hivernale, ils sont surendettés et menacés d'expulsion. Et tout ça parce qu'un des habitants de la zone pavillonnaire voisine -de ceux qui s'accrochent au bonheur promotionnel et consumériste incluant les maisons qu'ils habitent, tout en étant obsédés par les cambriolages-, dont Mohammed a construit la terrasse, avançant le coût des matériaux, refuse maintenant, sous un fallacieux prétexte, de le payer.
En même temps que se déroule l'engrenage violent et dangereux où sa soif de réparation mène Mathilde, des incursions dans son passé éclairent le lecteur sur les drames qui l'ont faite échouer dans cette morne solitude.
D'un réalisme noir, "
Mathilde ne dit rien" est aussi et surtout un roman profondément humaniste, qui redonne chair et complexité à ceux que l'on qualifie habituellement "d'invisibles".
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