Mon ami Ramzi J., à qui j`ai dédicacé le roman, a accompagné le corps de son père jusqu`au Maroc lorsque celui-ci est décédé. J`ai appris à cette occasion que beaucoup d`immigrés contractent une assurance pour ce genre de rapatriement post-mortem dans leur pays d`origine, notamment au Maghreb. Cela m`a questionné, étant moi-même à cheval sur plusieurs pays ; où voudrais-je être enterré ? De là est née une réflexion sur ma propre condition et je me suis aperçu que je partageais les mêmes difficultés, amoindries par le fait que je suis blanc, que toute personne tiraillée entre deux cultures.
Ma réponse va vous surprendre, mais je pense qu`il est important de connaître ses origines et son histoire familiale pour pouvoir leur dire « merde ». Et je dis bien leur dire « merde », ce qui ne signifie pas les rejeter, mais leur signifier clairement que ce ne sont pas elles qui décident de nos vies, que nous sommes capables de nous construire en empruntant ici et là sans que personne, y compris notre propre famille ou notre propre communauté, ne nous force à rentrer dans une case ou à nous comporter « comme on a toujours fait ». Attention, je ne dis pas qu`il faut absolument procéder à un rejet en bloc ou qu`il ne faut pas suivre les traditions que l`on souhaite suivre, mais j`ai le droit de choisir dans ce menu ce qui me convient ou pas, ce qui convient à ma vie, mon mode de vie, mon environnement social, professionnel, amical ou amoureux. J`ai le droit de décider librement de ce que je suis grâce, souvent, à ceux que je suis (du verbe suivre, car le titre de mon roman peut également être interprété ainsi).
Oui, je me suis rendu plusieurs jours à Casablanca, à deux occasions. J`ai aussi discuté avec de nombreux amis marocains ou de parents marocains qui m`ont raconté beaucoup d`anecdotes. J`ai utilisé celles-ci dans le roman, pour ajouter à la véracité. Je suis souvent allé au Maroc, à Essaouira, Marrakech, Meknès, Moulay Idris, Fès, et ailleurs aussi, mais je ne connaissais pas Casa. C`est une ville d`ambiance, pas une ville touristique, mais c`est ce que j`aime. On y prend son temps, un peu comme dans le Paris de mon enfance. J`ai arpenté tous les quartiers que je décris dans le roman, en enregistrant tout ce que j`observais, à haute voix, dans mon téléphone. Je déambulais, en parlant à mon téléphone, les gens me prenaient pour un dingue, et tout y passait, les sensations, les couleurs, les odeurs, les bruits et mêmes les scènes les plus banales qui, au bout du compte, donnent de la chair au récit.
C`est une question philosophique qui fait entrer en ligne de compte beaucoup de considérations liées à la Foi ou à son absence, à l`Amour ou à son absence, à la Peur ou à son absence. On confond souvent Mort et Deuil. La mort de quelqu`un qu`on aime est douloureuse, c`est un déchirement, littéralement. On est déchiré de l`autre par la Mort, et on ne peut rien y faire. On craint d`ailleurs souvent davantage la mort d`un être aimé que sa propre mort à soi. Ce décès permet parfois, après le deuil, de vivre plus pleinement, plus intensément aussi. C`est ce qui a été mon cas, mais l`expérience du deuil n`est pas universelle, je vous fais part ici de la mienne. Dans nos sociétés occidentales mues par la productivité, on ne prend pas le temps de faire son deuil ; il faut tout de suite se remettre dans le bain pour oublier, pour passer à autre chose. Or il faut célébrer le deuil, pas l`ignorer. Célébrer, non pas dans le sens de faire la fête (même si mon grand-père, par exemple, avait exigé que l`on boive en famille les meilleures bouteilles de sa cave après son enterrement) mais célébrer dans le sens de se remémorer le défunt. L`autre nous manquera pour le reste de notre vie. Évoquer régulièrement son souvenir permet, dans mon expérience, de prendre conscience de l`imprévisibilité de la vie, même si nous savons tous qu`elle a une fin, de son absurdité puisqu`elle conduit à la Mort, mais aussi de sa formidable beauté et si j`ose dire de sa vitalité car il en faut de l`énergie, de l`optimisme, bref de la vie pour vivre ! En cela, le deuil est un voyage initiatique.
Ce qui fait mal ce n`est pas le secret, c`est le mensonge. L`objet du secret donne un coup lorsqu`il est dévoilé. Le mensonge, le simple fait que l`on nous ait caché quelque chose, cela peut faire des ravages. Ce que l`on pourrait dissiper dans un haussement d`épaules si on l`apprenait immédiatement, peut conduire au drame lorsqu`on s`aperçoit que notre vie s`est bâtie sur un mensonge, qui plus est un mensonge qui nous a été imposé. On peut faire face à tout quand on connaît la vérité. Avec le mensonge, tout s`écroule, à commencer par la confiance en l`autre et souvent, par ricochet, la confiance en soi.
La publication de Ceux que je suis a pris plus d`un an, ce qui n`est pas rare dans le monde de l`édition. Cela m`a permis d`écrire mon deuxième roman en attendant. J`ignore s`il sera publié mais il existe, et c`est un accomplissement personnel qui me rend heureux. Les mieux à même de parler d`un bouquin sont les lecteurs. Chacun d`entre eux ajoute une dimension supplémentaire, souvent à laquelle l`auteur n`a pas songé d`ailleurs. C`est ce qui m`arrive quand je lis leur courrier, et c`est très touchant. On verra ce qu`il se passera pour le deuxième, s`ils sont au rendez-vous. Cela dépendra aussi de ma maison d`édition avec qui je travaille main dans la main. Je rêve d`écrire ensuite une pièce de théâtre. Le théâtre, c`est magique ! Dans un roman, vous disposez de 250 pages pour susciter des émotions au lecteur, au théâtre, vous avez une heure et demie. C`est beaucoup plus intense. Chaque mot, chaque virgule compte, même si j`aime les pièces écrites sans ponctuation car elles offrent davantage d`amplitude aux acteurs et au metteur-en-scène pour créer leur propre oeuvre artistique à partir de celle du dramaturge. Ils y ajoutent des couches d`émotions. Et quand on est ému, c`est qu`on est vivant.
Il y en a trois, des classiques qu`on lit dans sa jeunesse. Crime et Châtiment, Le Comte de Monte Cristo et Les Liaisons Dangereuses.
La peste, c`est mon premier choc littéraire.
Guerre et Paix, je décroche toujours quand la surenchère de surnoms pour les mêmes personnages commence à m`emmêler les pinceaux !
Le Monde de Zohra d`Imane K. aux Editions de Londres.
Les chants de Maldoror, je n`ai jamais pu rentrer dedans malgré les recommandations de tout le monde, y compris de mon propre frère qui est un lecteur bien plus assidu et érudit que moi.
« Jamais, dit Madame Rosa, jamais il ne pleure cet enfant-là, et pourtant Dieu sait que je souffre… » (La vie devant soi) L`humour juif est très proche de l`humour anglais ; Romain Gary ne manque jamais de me faire éclater de rire.
J`alterne toujours, un livre en français puis un en anglais. Ouragan de Laurent Gaudé et The Only Story de Julian Barnes.
Découvrez Ceux que je suis de Olivier Dorchamps aux éditions Finitude
Entretien réalisé par Maïlys Le Chêne.
Victor Hugo: