Ecrire, c'est commencer à faire face. C'est le premier mouvement, la première réaction, le premier souffle. C'est le moment où seul avec soi-même, la page blanche en miroir, on reprend le dessus. On peut effacer, revenir en arrière, analyser, remettre en question. On peut se tromper, bien sûr, mais ni mentir ni tricher. Ecrire, c'est un moment de vérité infalsifiable.
Plusieurs fois au cours de mon analyse, j'aurai ce sentiment d'être une montgolfière que l'on déleste de l'incompréhension, des quiproquos et des douleurs sourdes autour desquels on s'est construit. De prendre de l'altitude et de gagner en liberté.
Par la suite chez Hachette, j'ai eu deux chefs. Un normalien supérieur, fin lettré, Catalan opiniâtre qui ne comptait pas sa peine. Il était devenu l'un des acteurs incontournables de l'édition française en Afrique. Secteur fondamental, surtout pour les Africains, dont il s'agit de réaliser les manuels scolaires. Usine à fric (Afrique!) pour les deux ou trois éditeurs qui se partagent le gâteau des subventions et des marchés d’état. Il avait su s'imposer sur ce marché où tous les coups sont permis. J'étais admiratif (et envieux) de son énergie qui lui venait plus de son tempérament de rugbyman catalan et roublard que de la rue d'Ulm et de son agrégation de lettres modernes.
"Prendre le temps de raconter son histoire, de revisiter son enfance avec des mots d'adulte fait du bien. On s'allège."
Il y a des détails qui n'en sont pas
" Tu sais, je me connais bien. Il ne faut pas se raconter d'histoires. Je n'y arriverai pas. On va s'arrêter là."
Oui, je me connaissais bien. L'échec aussi, je connaissais bien. Il y a avait dans ce sentiment quelque chose de familier. Une fois encore, je passais tout près. Le bonheur était à portée de main. Le sommet était là. Je le voyais. Une fois encore, il n'était pas pour moi.
C'était une vieille histoire.
J'avais pris un guide. A cette occasion, j'avais découvert qu'on passait sa journée à marcher les yeux rivés sur les fesses de celui qui vous précédait. Quand m'est venue l'idée du mont Blanc, je me suis dit que quitte à suivre des fesses deux jours durant, autant que ce soient celles d'une femme...
La matière de l'analyse, ce sont les mots.
En revanche "guetter ce que l'on dit vraiment", voilà une bonne définition du rôle du psychanalyste ! Vous voyez juste également lorsque vous dites que les souvenirs sont des fictions, souvent éloignées de la réalité, de l'exactitude des manuels d'histoire, mais proches d'une vérité, la plus intime, celle qui exerce sur nous ses effets. En cela , nous sommes les romanciers de notre propre histoire et notre désir est engagé dans notre façon d'en faire le récit, dont il faut analyser chaque mot, comme Freud nous a appris à le faire avec le texte du rêve.
Propos de Philippe Grimbert glissés entre les pages.
Je craignais ces mirages dont on s'entiche parce que justement ils sont inaccessibles. Ces désirs impossibles qui servent d'alibi pour justifier l'inaction ou l'échec . Il faut se méfier de vouloir décrocher la lune .