Elle avait souvent entendu son père évoquer en grommelant " la mort de l'éphémère" - le fait que, désormais, plus rien ne pouvait être oublié, et que chaque remarque désinvolte ou commentaire aigre n'était qu'à un coup de Google de distance. Que tant d'images, y compris celles qui étaient peu flatteuses, s'étalaient sur toutes les pages de Flickr et de Facebook. Que tant d'informations qui auraient dues être abandonnées une fois pour toutes sur le bas-côté continuaient d'exister à jamais.
Tu as le choix, lui fis-je. Je lançai une séquence vidéo montrant un combat de chimpanzés : trois mâles attaquaient un quatrième en le mordant et en le frappant à coups de poing et de pied, tout en poussant des cris aigus. A la fin de la séquence, la victime était morte.
Tu peux choisir ça, dis-je. Ou tu peux choisir ça, ajoutai-je en déclenchant une autre vidéo. Cette fois, on voyait un groupe de bonobos paisibles, occupés à courir et jouer, ou à faire l'amour face à face en se frottant les parties génitales à leur manière caractéristique. Chobo les observa avec fascination, mais son visage se fit triste. Chobo seul, dit-il.
Il s'est écoulé trois décennies depuis 1984 - et six depuis que George Orwell est mort.
Il avait mis l'humanité en garde contre l'avènement de Big Brother.
Mais c'était le manque de surveillance qui permettait les génocides et les crimes raciaux.
C'était l'existence de coins sombres qui permettait les viols et les abus contre les enfants.
C'était le fait de laisser uniquement les gouvernements - ceux qui avaient soif de pouvoir- contrôler l'information qui avait redressé le spectre de la tyrannie.
Le problème était le secret. Le remède évident était la transparence.
C'est certainement là que réside la valeur suprême de la conscience : la capacité de penser, de réfléchir, de se retenir, d'attendre, et de savoir qu'un jour meilleur viendra.