Jamais facile d'aller à contrecourant d'un raz-de-marée de dithyrambes. Ce "rocher" m'avait été très chaudement recommandé, il cumulait les avis plus que positifs et c'était un roman historique, genre que j'affectionne particulièrement, donc je m'y suis attelé avec un a priori très positif.
Je l'ai lu très rapidement, et sans me forcer pour le finir, là n'est pas le problème. Ça se lit très bien, comme on lit un livre d'histoire, et pour en avoir "englouti" quelques-uns, je sais de quoi je parle.
Elisa Sebbel sait elle aussi de quoi elle parle, c'est indéniable. Elle maîtrise son sujet sur le bout des doigts, ça ne fait pas l'ombre d'un doute : elle est documentée, experte même, et c'est quelque chose que j'apprécie particulièrement dans un roman historique. Qui plus est, l'auteure avait saisi là un fait méconnu, tiré d'une époque pas toujours très exploitée dans la littérature, et le potentiel romanesque de cette histoire de débris d'armée vaincue et abandonnés à leur sort sur une île était très élevé.
Alors me dira-t-on, où est le problème ?
Eh bien, il est sur tout ce qui n'est pas
L Histoire, justement. Autant sur ses aspects historiques et documentaires, ce livre est irréprochable, autant sur le plan "fictionnel", je suis resté à la porte. D'abord diffus, le sentiment s'est développé tout au long de la lecture que cela ressemblait bien plus à une chronique historique qu'à un roman historique.
Il n'y a qu'à voir par exemple le recours massif à l'imparfait et au plus-que-parfait plutôt qu'au passé-simple, cela saute aux yeux. Or, l'imparfait nous dit ce qui était, le plus-que-parfait nous dit ce qui avait été : ils expriment des faits, des réalités, là où le passé-simple, le temps des rebondissements par excellence, nous dit typiquement "ce qui se produisit soudain".
Sauf que quand il se passait quelque chose, je l'avais souvent deviné dès les premiers mots de la phrase.
De même, les dialogues, qui ont pour fonction de mettre du rythme dans le récit, sont peu nombreux. Quand il y en a, ils sont souvent convenus, voire peu crédibles.
Quand il se passe quelque chose avec un gros potentiel dramatique (un exemple parmi tant d'autres : la mort de l'âne Robinson), l'évènement est souvent éludé en un paragraphe, parfois même en une phrase. L'auteure ne veut pas s'y attarder, elle passe à la suite de son récit... et c'est la frustration.
Les personnages ne sont pas mauvais en soi, mais ils sont souvent survolés, tout particulièrement les relations entre eux. On voit très peu de rivalité, de jalousie, de haine, de violence, d'égoïsme... ils sont tous étonnamment solidaires, finalement, vu ce à quoi ils sont confrontés. Connaissant l'Homme, cela sonne étrangement.
(Aparté : j'ai été agacé par les scènes explicites, et par le vocabulaire employé. Là, je confesse qu'il s'agit de quelque chose de très personnel : j'ai très peu de goût pour la romance, et aucun goût pour la littérature érotique.)
Au final, tout cela (en-dehors de l'aparté) créé une distanciation entre l'auteure et son récit, qui reste assez "froid", déclenche peu ou pas d'émotion, assez peu d'empathie envers les personnages. Un contexte historique parfaitement maîtrisé, mais dont l'auteure n'aura finalement pas réussi à s'affranchir, donnant lieu à un roman ressemblant trop à une chronique.