Sébire & Boudin frappent fort dès le début en nous rapportant l'Affaire
Jean Calas, condamné pour le meurtre d'un fils dont on n'a jamais réussi à prouver qu'il ne s'était pas réellement suicidé - et plus vraisemblablement parce qu'il appartenait à la Religion réformée. Ils reprennent les points essentiels de ce qui fut l'un des plus grands drames humains du XVIIIème siècle français et, là non plus, nous ne nous étendrons pas sur la question puisque l'affaire a soulevé très tôt bien des questions et même fait sortir
Voltaire de sa retraire dorée en Suisse pour s'attaquer, avec cette fermeté et cette générosité de caractère qui étaient, elles aussi, des composantes de sa nature irritante, parfois impossible à la seule idée d'un bon mot - de préférence étincelant de méchanceté - à poser mais douée, nul ne le niera (sauf peut-être en ce qui concerne son théâtre) d'un génie littéraire à nul autre pareil.
Vient ensuite une affaire tout aussi célèbre : l'affaire Lafarge.
Marie Lafarge a-t-elle véritablement empoisonné son mari en commençant par lui expédier, alors qu'il se trouvait en voyage d'affaires à Paris, un premier gâteau à l'arsenic ? En ce XIXème siècle obsédé par le progrès, l'arsenic et le laudanum sont des produits communément vendus sans ordonnance et tout le monde, absolument tout le monde, peut s'en procurer. de fait, Mme Lafarge a acheté de l'arsenic. Contre les rats, dit-elle à la police et maintient-elle à son procès. Sonne l'heure des expertises sur les viscères du défunt. de ce côté-là, il n'y a pas grande différence avec nos XXème et XXIème siècles en principe plus modernes : les experts ne sont pas d'accord. L'un dit blanc quand l'autre s'empresse d'affirmer que non, tout est noir. Survient le troisième qui, lui, soutient avec mépris que ses confrères sont deux imbéciles qui n'ont pas su distinguer le gris ni du blanc ni du noir.
Molière aurait sans doute adoré mais, d'expertise contestée en conte-expertise tout aussi contestée, Mme Lafarge, en dépit des efforts d'un avocat qui est secrètement amoureux d'elle, sera condamnée à la prison perpétuelle. Elle y mourra d'ailleurs assez vite. Et il y a de grandes chances pour que cette femme ait été victime d'une erreur judiciaire.
Plus étonnante encore, l'affaire du Dr Couty de la Pommerais, accusé, puis condamné à mort pour avoir empoisonné son ancienne maîtresse, à laquelle il avait fait contracter un nombre impressionnant d'assurances-vie à son bénéfice. Sur les marches de l'échafaud, il nie encore et se dit victime d'une lamentable erreur judiciaire. Mais le lecteur reste assez perplexe.
L'affaire Steinheil est ici également évoquée. Avec le parcours quasi intégral de Meg Steinheil dont l'un des titres à la postérité est d'avoir causé - en tous cas favorisé - la mort du président
Félix Faure, celui dont
Georges Clemenceau remarqua à son décès : "En entrant dans le néant, il a dû se sentir tout de suite chez lui." Précisons, pour ceux qui l'ignoreraient, que, dans ces circonstances très officielles, Marguerite Steinheil, née Japy, n'usa que de ses charmes - et encore à la demande de Faure, dont elle était la maîtresse.
Félix Faure prenait, dit-on, certains "produits" pour soutenir sa ... disons, sa virilité et le mélange aphrodisiaque-Meg Steinheil, ajouté aux cinquante-huit automnes de l'intéressé, fit le reste.
En fait, l'affaire Steinheil ici évoquée concerne la mort du mari de Mme Steinheil et celle de sa propre mère, Mme Japy, retrouvés tous deux raides comme des bâtons tandis que la maîtresse de maison était elle-même ligotée sur son lit. Mme Steinheil assura que des voleurs s'étaient introduits chez elle et qu'ils étaient responsables de ces décès. Peut-être. Elle eut quand même droit à un procès dont elle sortit ... acquittée. Ce qui lui permit d'épouser un gentilhomme anglais et de finir ses jours en pairesse, le 20 juillet 1954. Elle avait quatre-vingt-six ans. Toute le monde n'a pas la malchance d'une
Marie Lafarge.
L'affaire Philippe Daudet met en scène le fils et le petit-fils d'
Alphonse Daudet. le fils, c'est Léon, l'implacable pamphlétaire et grande personnalité de l'opposition que l'on sait. le petit-fils, c'est le tout jeune Philippe qui, de l'avis même de ses parents, souffrait d'une maladie nerveuse qui lui procurait parfois "des crises" - lointain héritage de la syphils du grand-père, peut-être ... Bref, les faits sont les suivants : un chauffeur de taxi, Charles Bajot, dépose son client, Philippe Daudet, déjà mort ou en tous cas déjà bien en vue du Styx et de l'Achéron, dans un grand hôpital parisien ; on découvre une blessure à la tempe du jeune homme ; on en conclut qu'il s'est suicidé - on ne sait trop pourquoi sur le moment. Mais
Léon Daudet n'est pas d'accord et accuse ses ennemis politiques - et il en a beaucoup - d'avoir provoqué la mort de son fils. Affaire bien embarrassante à l'époque et sur laquelle on n'a pas encore fait toute la lumière.
Les auteurs n'ont pas oublié l'affaire Stavisky et ses suites "collatérales", la mort du Conseiller Prince. Dans l'un comme dans l'autre cas, les partisans du suicide et ceux de l'assassinat continuent à s'affronter ... Il s'agit de l'un des chapitres les plus prenants de ce deuxième tome, en tous cas pour ceux qui s'intéressent en particulier à
L Histoire, car elles ont pesé sur le destin d'une IIIème République qui finissait dans la déliquescence la plus absolue, comme notre Vème actuelle ... A bien y regarder, l'affaire Philippe Daudet participe elle aussi de l'Histoire de la IIIème.
Beaucoup moins connue est la mort de Jacques Rumèbe, encaisseur pour la société qui l'employait et dont on retrouva le cadavre, dans un état de décomposition assez avancé, chez le Dr Bougrat, lequel avait combattu avec lui lors de la Grande guerre et le soignait pour une maladie chronique. C'est là une histoire qui laisse le lecteur fortement dubitatif. Deux versions s'affrontent mais, au début, il est clair que le Dr Bougrat a menti. Et, s'il a menti une fois ... A lire au calme et en notant au besoin tous les détails. En plus, un médecin qui laisse un cadavre pourrir dans le mur de son appartement, franchement, ça ne fait pas très sérieux ...
Enigme également au Métro Porte-Dorée, avec le cadavre poignardé de Laetitia Toureaux, belle jeune femme qui était montée dans un wagon de 1ère classe absolument vide. Poignardé ... mais par qui ? Car, que l'on reprenne les faits d'une façon ou d'une autre, techniquement, personne n'a pu entrer dans ce wagon entre le moment où Laetitia s'y est assise et celui où la rame s'est arrêtée. Un assassin fantôme, alors ? ... Quoi qu'il en soit, un flou certain entoure la vie - et les moyens d'existence de la jeune femme. Vu l'époque, certains ont dit qu'elle aurait appartenu à la Cagoule et que la célèbre et mythique organisation l'aurait "liquidée" parce qu'elle en savait trop. Bien entendu, rien ne fut prouvé ...
A la toute fin, vous trouverez, à vingt ans de distance, deux morts de jeunes femmes là encore, deux morts qui, malgré les différences, notamment de pays, se ressemblent étrangement. Et puis ce qu'il est convenu d'appeler l'Affaire Mattei, du nom d'Enrico Mattei, dit aussi, dans les années cinquante, "le tsar du pétrole" italien. Affaire très connue sur laquelle je vous abandonne. Sans vouloir justifier ce décès prématuré, je dirai de Mattei que, à trop jouer avec le feu, on se brûle ...
Si vous avez aimé le premier tome de la série, vous aimerez aussi le second. Pour le troisième, on en parle plus tard. Si vous le voulez bien. ;o)