La joie; la simple joie contingente d'exister; la joie de survivre aux violences de plusieurs guerres; la joie , ici et maintenant, d'une paix qui dure depuis soixante-dix ans; la joie que donne la beauté du monde et celle des femmes; la trismégiste joie d'aimer...
Ensuite il y a le ballon, auquel on ne prête pas assez d'importance. Au rugby ou au football, tout le monde regarde l'équipe, personne ne regarde le ballon. Or l'important, c'est le ballon, c'est lui qui fait l'équipe. C'est la passe qui fait la relation entre les gens, et une équipe n'existe que par le ballon, que par la passe. Voilà ce que j'appelle un "quasi-objet", un objet qui est fait pour circuler entre les membres d'un groupe: le ballon, l'argent, les paroles. De la même manière que je m'intéresse à des personnages minuscules, sans importance apparente, qui révèlent des choses fondamentales, de la même manière mes concepts ne sont pas des concepts au sens classique mais des concepts "opératoires", dynamiques.
La technique est une formidable économie de temps dans notre combat « darwinien » contre la mort.
Pour ma part, elle m'a enseigné que pour penser, pour inventer, il faut absolument se retirer.
Le monopole du savoir, qui était détenu par l'école et par l'université, a été capturé par la télévision, la radio, les médias au sens large. C'est la cause première de la crise de l'enseignement.
Auschwitz a été jugé d'un point de vue juridique et le concept de crime contre l'humanité a été inventé à Nuremberg. Il n'y a pas d'équivalent avec Hiroshima alors qu'il est clair que la disparition de l'humanité se profile à l'horizon de la bombe atomique. Cela dit il y a dans le concept de "crime contre l'humanité" une disposition latérale qui est l'imprescriptibilité et auquel je suis opposé: la prescription est pour moi le fondement du droit. S'il n'y a pas de possibilité d'éteindre une poursuite, alors on ouvre la voix a une vengeance éternelle et il n'y a pas de possibilité d'établir un droit. Et même pas une histoire. A un certain moment, à la fin de la prescription, l'histoire recommence.
Si l'histoire a commencé avec l'écriture, alors il n'y a plus de préhistoire, l'histoire des objets commence au matin même du monde.
Tout est organisé autour du conflit, c'est certain! Cela suscite des passions, mais cela se réduit à du spectacle, sans jamais résoudre aucune question.
Il y a de l'inertie dans l'éléphant, il y a de l'inertie dans les bateaux. Il en va de même pour les sociétés: elles ont d'énormes inerties.
Il suffit de regarder du côté de l'éducation des enfants - leur maman les prend à l'école et les amène à la danse, et après la danse, il y a le cours de solfège ou de judo... Ils ne s'ennuient jamais et par conséquent ils n'ont pas de temps mort. Or le temps mort nous constitue. Parce que, sinon, je ne suis que joueur de piano, danseur ou judoka... Vive l'ennui !