Au bonheur des îles

Il fait une chaleur d'étuve et la radio hurle à plein volume. Des trucs des années 1950: shoop shoop dee doo, waa-oo, my baby left me. Il fut un temps où je connaissais les paroles et je les chantais en même temps d'une voix rafraîchie par une bonne rasade de vin. Le blues et le bop jouent avec mon coeur et le font rebondir entre eux deux comme un ballon de basket. Voilà une ballade sentimentale. Un amour perdu, et tous les regrets qui vont avec. Un joueur de saxo fait jaillir de la boite les notes aiguës de son sirop.

Mon éducation ne me servait à rien du tout, alors il était temps que je fasse quelque chose qui enrichisse ma vie… comme si la vie de quelqu’un ressemblait à un pain qu’on peut bourrer de vitamines.

Même une femme âgée a besoin d’une bonne culbute pour pas êt’ malheureuse.

Quel fils voudrait faire du mal à la femme qui l’a mis au monde ?

CHAQUE jour était une petite aventure épique sans objet, un long canular qui défilait toujours à la manière d’un dessin animé, comme si la moindre activité n’avait de sens que si elle était plongée dans l’atmosphère de drame et de menace d’un mauvais opéra.

Il nous faut un singe
Pour gouverner c'pays
Prenez n'importe quel singe
Dans n'importe quel arbre à singes
Donnez-lui une grosse voiture
Et une jolie secrétèèère
Alors ce p'tit singe
Deviendra un gros singe
Sur not'dos.

Le dîner au Frangipani était excellent - la merveilleuse cuisine de cette île : poisson volant, gratin de christophine, un arsenal de différentes sortes de curry, boudin noir. Vous avez bu un punch au rhum qui s'est révélé être un très bon dissolvant pour tous les ennuis et les petits malheurs que vous avez pu rencontrer. (p 87/88)

Ce que je sais, par contre, c’est que nous avons été mariés à une époque et que nous avons dilapidé une fortune. Que nous avons promptement regagnée sous sa direction. À l’âge de vingt-six ans, elle éternuait du sang dans la soie chinoise la plus fine. À vingt-sept ans, elle se faisait poser une plaque d’acier inoxydable pour renforcer son septum. Quand elle a eu vingt-huit ans, nous avons reconnu que nous nous détestions ; à trente ans, elle épousait Gerald Silverhartz, célèbre magnat de la bauxite et homme d’influence au niveau international. Maintenant, six ans plus tard, nous sommes toujours en affaires, elle et moi, et la détestation a disparu, remplacée par une affection sincère et tranquille. C’est très bien, parce que je ne veux pas qu’elle sorte de ma vie. C’est quelqu’un qu’on a envie de regarder et à qui on a envie de dire, toi et moi, on se ressemble. Prêts à risquer l’enfer dans notre impétuosité, tous les deux, et pourtant le ciel fait de son mieux pour rester de notre côté.

Son mari paraissait sceptique. La lumière se reflétait dans les lunettes de la femme et ricochait vers Tillman. Il haussa les épaules. Il devrait peut-être interdire Rosehill aux Américains. Les Canadiens faisaient de meilleurs touristes. Ils acceptaient l’existence d’un monde extérieur à eux.

Quand Tillman cessa de parler, elle se retourna pour le dévisager, ses yeux cachés derrière de gigantesques lunettes de soleil, la bouche dessinant une moue. Tillman supposa qu’elle était guichetière dans une banque, emploi qui lui donnait beaucoup d’assurance sans exiger quoi que ce soit de son intelligence.