Marie n’a jamais ressenti de désir de soumission, elle n’a jamais imaginé sombrer dans son propre corps, n’être plus qu’un soupir qui espère la main qui le rudoie. La jouissance qu’elle rencontre est totale. Le lendemain, Marie ne tient pas debout et s’alite. Bernstein est inquiet et fier. Marie est brisée mais en attente. Une porte s’ouvre sur une sensualité jusqu’alors inconnue, où chaque rencontre la laisse marquée des stigmates douloureux de l’amour, elle s’engage dans une relation totale d’où toute appréhension est évacuée.
Après avoir été adorée par des amants qui craignaient son corps comme un désaveu de l’idéal inatteignable, Marie découvre un homme qui n’attend que son cri, que son corps nu, que son désir de s’oublier, elle et sa perfection, dans des bras qui n’espèrent et n’aiment que le réel. Marie quitte le lit de Bernstein comme une cure de jouvence. Elle se sent puissante. À l’horizontale elle est soumise, à la verticale leur complicité intellectuelle et artistique est totale. (p. 142/143 – sur Bernstein)
A défaut de calquer sa vie de Marie, Forough écrit en vers sa vie idéale. Faute de pouvoir sortir manger un morceau, avec les odeurs de l’amour sur leur peaux, peut-être même auraient-ils ri en public, comme rient les amants après le sexe, quand ils sont projetés dans le monde réel et qu’ils se sentent si supérieurs dans leur jouissance qui s’éternise. Dans un monde où la chair n’est pas réduite au péché…..Mais en Iran, à Téhéran ou ailleurs, elle tresse des poèmes pour raconter ce qui aurait pu être, elle enchaine les vers pour compenser l’absence d’une vie au grand air, d’une vie où coucher avec un homme ne vous condamne pas. Si la poésie de Forough pue tellement la chair, c’est qu’elle est palliative au sexe proscrit. (p. 20)
Ainsi avancent les Hommes fixés sur un horizon inatteignable, incapables de mesurer leurs forces, portés seulement par un irrépressible besoin d'être aimés.
En guérissant de son père, elle aurait encore dû se consoler de sa mère, de ses frères et sœurs, de la société, des intellectuels, de l'Iran. Mais peut-on seulement guérir de son pays natal ?
vous le savez n'est-ce pas que les exilés vivent et respirent seulement dans le passé.
L’une se bat pour conquérir ce qui lui résiste ( un homme, un roman, un voyage, un salaire régulier), l’autre ne comprend pas que la résistance n’est pas en elle, mais dans le monde qui l’entoure.
Il est des femmes qui illuminent tant qu'elles aveuglent ceux qui connaissent leurs vérités.
Une des différences les plus aiguës entre Marie et Forough tient à l'amour et au respect que I'une déploie pour elle-même, et l'autre pas. Il ne viendrait pas à l'idée de Marie de se dévaluer à ses yeux. Forough est secouée de découvrir une femme capable de se célébrer sans la moindre honte. Cette honte qui la poursuivra toute sa courte vie.
Il ne peut pourtant plus fuir. L'aurait-il voulu qu'il restait prisonnier de son amour pour elle. Jusqu'à la fin de la vie de Forough, il la fournira en traductions, la nourrira d'une autre vie que la sienne, lui faisant sentir chaque jour l'abîme entre son existence et celle qu'elle aurait aimé, dû, espéré vivre.
Les filles de leur père sont plus épanouies, elles avancent avec davantage d'assurance, elles dansent avec plus de légèreté. Le destin tient dans ce regard, dans cette possibilité offerte ou niée.