Depuis des années, il avait pris l'habitude de n'avoir que deux livres avec lui- un exemplaire abîmé des sonnets de Rilke, le Parzival de von Eschenbach. Et aujourd'hui, pendant trois jours, il avait le fonds de la plus grande bibliothèque du monde étalé devant lui et, tel un voyageur du désert qui serait tombé sur une oasis, il se laissait envahir par les odeurs et les textures des pages imprimés.
Cependant, elles allaient continuer à partager. Le travail et le produit du travail, tout. Quoi qu'il en soit, tout ce qui pouvait être partagé. Ce qu'elles faisaient en ce moment, rentrer dans une maison vide, était une chose que chacune d'elles devait vivre seule.S'asseoir dans des pièces silencieuses devenues plus silencieuses que la veille, quand elles savaient que leur mari était aux champs. Tourner la tête pour saisir l'ombre d'un mouvement et ne rien trouver, une fois encore. Le silence intime du manque, chaque manque unique et personnel, créé par l'homme qui était parti, chacune de ces femmes devait en souffrir dans la solitude.
Ils parlaient vite dans cette partie du pays, collaient les mots les uns aux autres comme des wagons à bestiaux s'agglomérant en accordéon derrière une locomotive qui freine. Ce n'était pas vraiment du gallois, mais pas non plus de l'anglais, les mots passaient de côté et d'autre de la frontière exactement comme leur villes et leurs villages.
Les hommes de la patrouille étaient semblables à une bande d'acteurs en vadrouille, un gang étrangement privilégié de vagabonds (..) Ils avaient l'impression de traverser la guerre et non de la suivre. Ils sinuaient le long des veines et des capillaires de ses voies de ravitaillement et de ses positions temporaires au lieu d'être poussés en avant, au lieu d'être pressés contre l'ennemi par tout le poids de l'armée derrière eux.
Pendant les mois qui suivirent, toutes les femmes, à un moment ou à un autre, déclarèrent qu’elles avaient su que les hommes allaient quitter la vallée. Tout comme William Jones pouvait prédire le temps qu’il ferait en étudiant le ciel ou les formations d’oiseaux migrateurs, les femmes disaient qu’elles avaient su prédire le départ soudain des hommes. Après tout, c’étaient leurs hommes, leurs maris. Personne ne savait lire en eux comme elles. Pas surprenant donc qu’elles aient compris ce qui allait arriver. C’est ce que dirent les femmes pendant le long silence qui suivit.