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Critique de Erik35


MOI, MOI, MOI, MOI, ET MOI...

5017 lecteurs affichés,
1638 notes,
188 critiques, (189 avec celle-ci),
159 citations à ce jour : cet indéniable, ce vénérable classique anglais qui fête cette année ses 200 printemps (sans doute devrions-nous écrire : ses 200 hivers, si l'on s'en réfère à sa date exacte de publication, un 1er janvier 1818), écrit par une jeune inconnue de seulement dix-neuf ans, n'est pas près d'être remisé dans le rayon des "grands classiques oubliés".

Aussi nous contenterons nous, pour une fois, d'une chronique assez brève, tout ou presque semble avoir été résumé, expliqué, conté, décortiqué par de bien belles et intéressantes plumes avant cet insigne ajout.

Avant tout, le futur lecteur de ce roman gothique - parce qu'il s'inscrit indéniablement dans cette lignée très en vogue depuis "Le Château d'Otrante", le fameux "Le Moine" de Matthew Gregory Lewis, de deux ans antérieur à l'époustouflant "Melmoth" mais très légèrement postérieur au fascinant Manuscrit trouvé à Saragosse -, n'a pas grand chose à voir avec les représentations postérieures que la culture populaire a pu en faire, surtout depuis ses innombrables interprétations cinématographiques (on songera, bien entendu, au célèbre Boris Karloff dont l'interprétation du "monstre" aura des répercussions sur sa vie et sa carrière toute entière).

Roman romantique indéniablement - au sens littéraire du terme - bien que par certains aspects, il en prenne l'exact contre-pied (une critique à peine voilée de l'individualisme souvent revendiqué par les promoteurs du romantisme originel, une certaine rationalité dans cet atmosphère emprunte d'irrationnel, etc), roman philosophique et pour une part en réaction à celle, très libérale (et féministe), issue des Lumières, de son père le philosophe William Godwin (le moins que l'on puisse en dire c'est Mary Shelley ne semble guère portée à défendre l'idée paternelle d'une humanité susceptible de s'améliorer moralement, surtout pas en dehors des institutions telle la famille, le mariage, etc). Roman précurseur des genres liés à la littérature d'épouvante (bien que plus grand chose n'effrayera le lecteur du XXIème siècle, soyons clairs) et fantastique, voire science-fictionnel (selon d'aucuns, ce que nous trouvons pour notre part assez osé, la partie "scientifique" de l'ouvrage y étant réduite à peau de chagrin), ce Frankenstein où le Prométhée moderne est bel et bien un peu de tout cela, ce qui n'est évidemment pas rien pour une première oeuvre.

Exemple assez marquant de roman épistolaire dans lequel s'enchâssent plusieurs récits, il débute ainsi (et s'achève de même) par les courriers qu'un jeune explorateur des régions glacées de l'océan arctique, Robert Walton, adresse à sa soeur restée au pays. le roman prend réellement consistance après que l'aventurier ait secouru le fameux Victor Frankenstein, dont on finit par comprendre qu'il était alors à la poursuite de sa fameuse créature afin de la faire disparaître de la surface de la terre (à moins d'y rester lui-même, dans cet ultime combat entre notre Prométhée moderne et l'abomination qu'il a créé). S'insérera un autre récit, vers le mitan du roman : celui, conté par la créature elle-même à son géniteur déraisonnable et inconséquent, de sa découverte du monde des hommes, ses innombrables déconvenues ainsi que l'enfer qu'il vécut et finit par le rendre aussi monstrueux à l'intérieur qu'il l'est en apparence. Et de découvrir que le "démon" du livre est non seulement doué de langage, mais qu'en vertu d'une véritable intelligence et d'un apprentissage complet d'autodidacte, il s'exprime avec toute la correction d'un lord britannique, à mille lieues du nigaud horrible et mutique de l'imagerie (cinématographique) d'Épinal !

L'ouvrage est très riche de thématiques, d'intentions, d'inventivité formelle, d'imagination, de réflexions (sur l'individu et la société des hommes. Sur la genèse, sur l'idée d'être père sans mère, etc), c'est absolument indéniable. Pourtant, fastidieuse et fade en fut sa lecture : alourdi par mille considérations intimes confiées sans relâche mais avec un sens de la répétition dans l'erreur absolument confondant, des remarques "psychologisantes" qui sont, souvent, d'une naïveté confinant à la niaiserie, d'expression de sentiments presque invariablement outrés, d'une trame voyageuse proche de l'insipide tandis que le roman est aussi, incontestablement, un hommage à cette région de Suisse où se retrouvèrent alors la future Mary Shelley, son amant et futur époux Percy, l'immense poète Byron et sa jeune maîtresse (fille de la marâtre de Mary) mais dont les descriptions sont aussi plates que le Mont-Blanc et la mer de glace sont d'altitudes élevées ! Quant aux dialogues, innombrables, ils sont empesés, empruntés, lourds, sans vivacité et peu crédibles - même en les imaginant dans la bouche de personnes bien nées de ce début de XIXème siècle -. Quant au style, malgré une traduction récente des éditions Gallimard, il est très largement suranné (ce qui peut s'avérer absolument charmant, surtout avec la richesse syntaxique et lexicale des auteurs de cette époque) mais il apparaît ici souvent très sec, sans grâce ni poésie ni envolée - la conséquence de ce parti pris de Mary Shelley d'adopter la tonalité du compte-rendu, du récit circonstancié et artificiellement neutre - et finit par donner à son lecteur l'impression d'une longue litanie de répétitions stylistiques et d'absence fondamentale de diversité. Quant aux personnages, ils sont tellement stéréotypés, tellement enfermés dans leurs rôles, leurs développements (ou absence de développement) intimes et personnels que cela en devient rapidement lassant, qu'on peine à s'y attacher. Même si l'on comprend rapidement que l'autrice n'a pas la moindre intention de nous rendre Victor Frankenstein réellement sympathique (mais il est des anti-héros que l'on finit toutefois par aimer), confit qu'il est dans son égotisme outrancier, ses aveuglements immuables, ses erreurs infondées mais toujours répétées et son manque presque total de clairvoyance, on peine à en admettre la construction profonde.

Projet sans nul doute incroyable d'une jeune femme née en une époque où, c'est le moins que l'on puisse en dire, le sexe prétendument faible n'avait guère son mot à dire - pour mémoire, le roman fut d'abord publié anonymement -, celui-ci représente sans aucun doute une époque (aux propos bien plus réactionnaire qu'il y parait d'abord, si l'on n'y prend garde), dans la lignée de l'apophtegme invariablement remâché par des générations entières de lycéens («Science sans conscience n'est que, etc»), rappel à l'ordre moral - rien ne saurait sortir de bon hors de la famille et du mariage - après des années de bouleversement politiques et sociaux dans la lignée de la Révolution Française (le père de Mary Shelley fut accueillit chaleureusement par nos gaulois révolutionnaires lors de la première célébration de la prise de la Bastille), ce texte avait indéniablement tout pour devenir un classique... Il lui manque cependant beaucoup de puissance, de souffle et de générosité pour pouvoir être rangé dans la catégorie supérieure des "chefs d'oeuvre".

Une légère déconvenue de lecteur, donc, sans regret cependant d'avoir enfin pris le temps de découvrir cette oeuvre relativement incontournable de la littérature anglaise d'il y a deux siècles.

Quant à la brièveté annoncée (et sincèrement envisagée) de cette chronique... On ne se refait pas !
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