Citations sur Ce que vivent les hommes, Tome 2 : Les printemps de c.. (11)
Mais elle n'avait rien connu, elle, du combat quotidien des gens sans terre, de tous ceux qui ne savaient pas s'ils mangeraient le lendemain. Ses parents instituteurs avaient toujours eu un logement et un salaire pour vivre sans difficulté. Elle ignorait tout du pain mesuré, des frusques ravaudées, des pièces que l'on compte et que l'on recompte, le soir, sur la table de la cuisine. elle avait toujours voulu peser sur les choses pour les faire changer, comme il aurait dû y contribuer, sans doute, si sa situation d'aujourd'hui ne lui avait donné la conviction de faire partie des privilégiés.
-Nous avons traversé deux guerres, dit-il, nous avons beaucoup travaillé, et nous sommes là aujourd'hui, l'un près de l'autre, toujours debout, comme ces sapins qui ont failli être détruits par le feu, tu te rappelles?
Antoine et John s'empressèrent de redonner au Népal, à Katmandou, la splendeur spirituelle qu'ils avaient imaginée, et ils minimisèrent la misère aperçue, laquelle n'avait, pas plus que la richesse, la moindre importance. Il fallait vivre de cette terre ingrate. Le bonheur était ailleurs : dans l'amour, la paix, le don de soi, l'élévation vers Bouddha.
Lucie ne se sentait pas bien du tout. Une pensée obsédante la hantait : Heinz était accusé de la même chose que Jan à cause d'elle : espionnage au profit d'une puissance étrangère. Jan, c'était pour les nazis, Heinz par les communistes : ceux qui les avaient combattus farouchement.
Tout était terminé, ici, pour la communauté européenne, qui n'avait plus qu'à choisir entre la valise et le cercueil (...)
Personne ne pourrait oublier ce qui s'était passé : les meurtres, les assassinats, les bombes, les tortures, les vengeances, les mutilations : tout un cortège d'horreurs qui avait accompagné cette déchirure cruelle entre deux peuples, qui, en fait, aimaient autant l'un que l'autre ce pays. On était depuis longtemps entré dans l'irréversible et dans l'irrémédiable.
"Te souviens-tu", disait-il à tout instant, et il évoquait un événement, un mot du père ou de la mère, les cherche pain du 1er Janvier 1900, la magnifique robe reçue un soir en cadeau par la mère, ce jour où ils étaient allés à la fête du mois d'août, des souvenirs qui réveillaient chez François une sorte de bonheur ancien et l'ensoleillaient. Il oubliait alors sa grande fatigue, l'angoisse des années de guerre, et cette impression dont il ne pouvait se délivrer d'être usé comme un vieil outil dont le manche pouvait se brises à tout instant.
Ils partirent après un dernier regard vers les sommets blanc, que la limpidité de l'air rendait proches et précieux comme des rêves réalisés.
Elle se tournait de temps en temps vers l'Océan, hochait la tête, murmurait :
- C'est tellement beau.
Et on ne savait s'il y avait là une souffrance ou du bonheur
Il s'en était passé des événements, pendant ces trois années durant lesquelles ils avaient pu, pour la première fois de leur vie, exercer vraiment leur métier, c'est à dire instruire des enfants selon les règles apprises à l'Ecole normale, mais surtout selon celles de leur coeur.
A Ussel, il le firent descendre à l'hôtel de police, téléphonèrent à la Gestapo de Tulle. Il semblaient le connaître. Ils ne lui avaient même pas demandé son nom. Ils l'embarquèrent dans une deuxième traction qui partit vers Tulle dans la pluie et le vent, tandis qu'il s'efforçait de se préparer à ce qui l'attendait.