Dans un pays en guerre, « après le coucher du soleil », gît un jeune homme, un sillon de sang sur la tête. La vie semble s'être arrêtée dans cet espace-temps flou. Pourtant, Stjepan, c'est le prénom du jeune homme, se redresse et découvre, au milieu du chaos, une voiture sur une route de terre battue. Dans celle-ci, un bébé, miraculeusement vivant parmi des morts. Stjepan l'emporte avec lui sur la route. Vers quel horizon les mènera-t-elle ?
«
Skoda » est un titre intriguant, qui interpelle le lecteur. Dans un pays en guerre, où Stjepan se réveille suite à un traumatisme qui a blessé son corps, sans doute aussi son âme, ce jeune homme de 20 ans a besoin de nommer ce qui l'entoure, peut-être pour se bâtir des repères dans ce pays en proie au chaos, à la violence, à l'absurdité. Créer de l'humain là où règne la mort, baptiser l'autre pour matérialiser la vie : dès qu'il voit le bébé, vivant parmi les morts, il le nomme. Recréer de l'humain également, là où l'humanité s'est perdue : au moment de quitter le « vilain douanier » qui l'a violenté, mais aussi, étrangement, secouru, Stjepan lui demande « comment vous vous appelez ? » (p. 41). Il obtiendra son prénom, comme une parcelle d'identité glanée dans la rencontre avec un autre qui lui rappelle « le petit père des peuples » : un clin d'oeil à Staline ?
Même si l'espace-temps n'est guère cadré dans ce roman, les thèmes abordés sont universels et rejoignent une humanité commune : l'auteur dépeint l'absurdité d'un pays en guerre dans lequel chacun cherche à survivre, à sa manière. le chaos et la violence sont rendus par des scènes parfois très réalistes et très crues, dans le choix des mots. Mais la forme même essaie de donner corps à cette violence : ainsi au moment de certains épisodes d'une rare violence, les paragraphes deviennent plus courts, l'espace entre chacun s'agrandit, donnant du souffle à la lecture : Stjepan peut ainsi se ressaisir, le lecteur également par contre coup, en témoigne le court paragraphe suivant :
« Mais oui, ça ira, Stjepan est dur à la tâche. La vieille lui apporte du vin. Il creuse trois trous distincts ; ici la terre est meuble » (p. 80.)
L'écriture d'
Olivier Sillig est tout en retenue, en pudeur : malgré des rencontres qui le font souffrir, Stjepan avance, poursuit la route et le lecteur se demande constamment vers quel horizon elle le mènera, en compagnie du bébé, même si déjà, il pressent la conclusion qui avance.
Avec la guerre, l'auteur explore la question du sexe comme pulsion dont Stjepan est la cible au gré de ses rencontres. le lecteur s'attache à ce jeune homme qui chemine au long d'une route dont le début lui a offert un bébé. L'auteur montre, dans le choix de ses expressions, toute la tendresse que manifeste Stjepan pour le bébé. Une belle expression poétique montre ainsi la précaution que lui témoigne le jeune homme : « Quand il prend l'enfant dans ses bras, il le fait comme si c'était une clochette que, par jeu, il ne fallait pas laisser sonner » (p. 22-23). Mais en même temps, et c'est ce qui à mon sens rend Stjepan encore plus attachant parce qu'humain, il reste ambivalent à l'égard du bébé : à son contact, il ressent toute la fragilité de ce petit être, si vulnérable dans ses mains : « Il pourrait aussi l'attraper par le cou et l'envoyer s'écraser contre les rochers, comme on le fait avec les chatons des portées trop nombreuses » (p. 92). Il ressent ce pouvoir qu'il détient sur ce petit bout d'homme.
Dans ce court roman, le lait est présent, à la manière d'une parenthèse, au début et à la fin de la route, à l'image d'un élément nourricier, porteur de vie et d'espoir. le terme du chemin se dessine, peut-être de manière trop prévisible à mon goût. Un court roman, empli du souffle que laisse l'espace, entre brise paisible et ouragan dévastateur.