Les spécialistes nous font l'éloge de la lenteur, inévitable à un âge avancé, et nous expliquent tout en détail, mais quand nous sommes lâchés sur le terrain, la réalité est tout autre et à part galoper pour y arriver, je ne vosi pas comment procéder. Alors je suis comme dissociée, entre le désir d'appliquer tout ce que j'ai retenu des beaux discours remplis "d'humanitude", et puis la nécessité d'accomplir tout ce qui npèse sur moi et relève de mes compétences sur le temps imparti.
Je râle. J'évite quand même de râler devant les résidents. Pour eux, j'ai toujours des réserves de sourires et de mots réconfortants. Dans les couloirs, je fais aussi attention : là, je me contente de souffler. Eva, qu'est-ce que tu as encore à soupirer ? Rien, rien, Sylvie. C'est ma façon de me défouler tu sais, ne fais pas attention ! N'empêche que ça commence à bien se voir, car je soupire toute la journée, et même le directeur dévie son regard dans les couloirs. Il évite maintenant de me demander comment je vais, en arrivant. Parce que je pourrais lui dire ma façon de penser, et de bon matin, alors qu'il revient de trois jours d'absence, cela le fait hésiter. Où sont mes belles paroles du début, mes objectifs d'infirmière très concernée par les personnes âgées ?
En bon mécano, il aime bien vidanger. Sauf que ce n'est pas toujours dans son atelier. Déjà que souvent dans la journée, il se dévêt et apparaît dans le couloir dans le plus simple appareil ! Cela amuse certaines qui, depuis un moment, peut-être, n'ont plus vue de bougie ou de clé à molette, appelez ça comme vous voulez. Mais nous, nous trouvons cela bien triste.
"Ce matin, je sais que j'ai trois toilettes à faire (on le dit ainsi), toute seule, en plus des autres soins, et que je vais encore me bousiller le dos. Le directeur a mis en place un système que je troiuve pour le moins aberrant : c'est l'infirmière qui assume seules trois toilettes par matinée, mais uniquement celles des personnes en fin de vie, ou difficiles. Oui, les personnes en phase terminale, celles que l'on se doit de manipuler avec le plus de délicatesse et de douceur, celles qui gémissent parfois dès qu'on les mobilise, ou qui font des pauses respiratoires lorsque nous les mettons sur le côté à cause de la morphine ou autre... Il vaudrait mieux être à deux, mais c'est impossible, faute de personnel suffisant. L'aide ne peut être que très ponctuelle".
Dans mon petit bureau, je m'assieds enfin. Pas d'escarre au sacrum pour le personnel, qui ne reste jamais assis bien longtemps.
C'est toujours la même histoire, malgré l'expérience et les années. Il est vrai que la capacité d'adaptation diminue avec l'âge, ainsi que la résistance au stress.
Quelle drôle d'idée de nous faire durer autant ! Nous pourrions partir avant, juste quand ça s'arrête d'être bien, non ?
Nous avions parfumé la mort pour qu'elle diffuse du mystère et laisse derrière elle l'ombre de ses malheurs.
L'ARS (agence régionale de santé) détermine les budgets pour les postes des soignants, et si l'on en croit tous les témoignages, dans la plupart des EHPAD, un aide-soignant ne dispose que d'une douzaine de minutes par patient pour réaliser sa toilette... quand en réalité, il en faut entre vingt et trente.
Elle se marre tout le temps. Impossible de garder son sérieux avec elle, et même quand une petite complication pointe le bout de son nez, elle retrouve son sourire très rapidement.
Certains affirment que le moral joue énormément dans l'évolution de la maladie.
Elle, avec son rire qui résonne à chacune de ses consultations, a sacrément aidé les traitements à faire leur effet !
Elle accepte les choses avec plus ou moins de légèreté ; sa vie n'est pourtant pas un long fleuve tranquille.
"Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu'on te fasse." Et puis, choses toutes simples, je lui ai fait sentir le savon, toucher le gant tiède, se laver elle-même le visage, ou encore choisir ses habits... quand par habitude on finit par tout faire pour eux.