Je suis arrivée au point de non-retour où mon pays natal m’est inaccessible, inhabitable, et mon pays d’adoption reste toujours inatteignable. Ma patrie n’est ni l’Inde ni la France mais la langue française — cette déclaration jubilante que j’ai faite il y a quelques années est devenue une vérité triste. Et cette patrie elle-même subit désormais des attaques.
Pour marquer notre rupture, mon père et moi, nous avions décidé de nous infliger le châtiment suprême : le silence...
Une autre interprétation est celle de la trahison de mon peuple. Ce à quoi je réponds volontiers que je n’ai aucune solidarité ethnique, aucune ethno-rigidité, car pour moi ce serait le début du racisme.
Je suis persuadée que le travail du romancier est un acte fondamentalement altruiste. Glisser dans la personnalité des autres, emprunter le corps des autres, lire dans, leurs pensées, deviner leur existence, inventer leurs destinées.
Je me suis rendu compte qu'un écrivain femme est d'abord et surtout une femme , ensuite écrivain
Je ne cesse de me demander comment elle serait, ma langue française, si je retournais vivre en Inde, si je la protégeais de la crasse et de la boue du quotidien à la française. Oui, elle demeurerait soignée, respectable et respectée dans la vitrine de la société mondaine de là-bas. Elle serait purement littéraire, académique, sophistiquée. Les dégueulasseries lubriques et les vitupérations racistes à la française me révoltent parce qu’elles salissent l’image idéalisée que je me faisais de la langue française, parce qu’elles détruisent l’espoir que la langue française soit le moyen de mon émancipation, en tant que femme, en tant qu’écrivaine.
Le livre est devenu pour moi sacré, non dans le sens religieux mais vital et éthérique. J’y trouvais refuge et j’oubliais les gueulantes, crises, hystéries de ma mère, j’oubliais les menaces d’un effondrement total et le temps qui pesait sur moi comme un mauvais présage, suspendue dans un hamac tissé de mots.