Si on ne m'avait pas offert ce livre, il ne me serait pas venu à l'idée d'aller l'acheter. C'est ma belle-fille qui me l'a offert. Elle parle trois langues, vit au Canada et est mariée à un indien d'origine, totalement « américanisé » depuis plusieurs décennies.
Pourquoi je vous parle de ça ?
Shumona Sinha est née en 1973. Indienne d'origine, elle parle quatre langues, vit en France depuis une vingtaine d'années et s'est mariée à un français. Elle est actuellement divorcée.
Ce livre n'est pas un roman.
Shumona Sinha raconte son parcours. Celui d'une jeune indienne de
Calcutta. Sa jeunesse est marquée par un engagement politique, sur les pas de son père, militant communiste. Elle s'exprime en trois langues : le bengali (sa langue natale), l'hindi (la langue nationale) et l'anglais (la langue du colon).
Et puis, à l'âge de vingt-deux ans, elle va découvrir le français, la langue française, sa littérature, ses poètes… le flash : « je dévalais des kilomètres en alternant pousse-pousse, bus et taxi à trois roues pour aller vers une langue étrangère comme un naufragé vers un radeau de sauvetage . »
Une histoire d'amour avec notre langue qui va la pousser à venir travailler à Paris à l'aube de ses trente ans. Elle va fréquenter les milieux universitaires, littéraires, associatifs et se marier avec un poète français dont elle divorcera une dizaine d'années plus tard. Et puis elle va se lancer dans l'écriture. Elle va publier, en français, plusieurs romans dont la problématique est souvent centrée sur l'exil.
« Je suis arrivée au point de non-retour où mon pays natal m'est inaccessible, inhabitable, et mon pays d'adoption reste toujours inatteignable. Ma patrie n'est ni l'Inde ni la France mais la langue française. »
Shimona Sinha dresse un bilan et fait un constat en appuyant là où ça fait mal. Bien qu'elle soit érudite dans nombre de domaines touchant à la littérature et à la poésie, elle n'est généralement invitée qu'en tant qu'écrivaine indienne s'exprimant en français. « Le concept du centre et de la périphérie continue à accompagner mes livres. Ils sont aujourd'hui encore placés au rayon « littérature étrangère » de certaines librairies françaises. Est-ce qu'on imagine la violence de ce geste qui m'ôte ma langue d'écriture, ma langue vitale, qui me renvoie à la frontière ? »
Encore aujourd'hui, il lui est difficile d'être reconnue pour ce qu'elle est : une écrivaine. Il lui faut faire face à toute une série de discriminations dont les deux axes principaux sont le sexisme et le racisme. Les préjugés ont encore de longs jours devant eux. Heureux les français de souche !
« Le privilège du passeport est une réalité. Il y a des passeports sésames qui ouvrent les portes et les frontières. Les autres provoquent soupçons, acharnements, interdits. D'un côté se trouvent les voyageurs, savants, explorateurs. de l'autre côté les immigrés. Les uns éveillent l'admiration. Les autres ne sont que des fardeaux. »
Shimona Sinha est une femme de son temps. Révoltée contre l'injustice, le racisme, l'intolérance, la machisme ambiant. C'est une femme debout qui préfère l'insécurité de la vie de célibataire plutôt que d'être protégée par la vie de couple. « Évidemment, conformément à l'avis général, j'aurais pu éviter un tas de problèmes si je vivais avec un homme. La femme délicate et discrète, ça je ne l'aurais jamais été, même en compagnie d'un homme, mais j'aurais été protégée. C'est ça le rôle des hommes : être le bouclier des femmes. Délimiter le territoire pour qu'il n'y ait pas d'intrus. Définir les femmes. Elles sont ce qu'elles sont par rapport aux hommes. »
Shimona Sinha n'est pas tendre avec les hommes politiques de son pays et plus particulièrement avec le premier ministre actuel : « Tandis que le marché occidental est inondé par les produits dérivés du yoga et d'autres pratiques hindouistes, savamment popularisés par Modi, tandis que les pions avancent sur l'échiquier planétaire, le pays du nirvana détruit la démocratie chez lui et menace celle des autres. »
Son combat a trouvé un écho chez moi et je suis admiratif de sa personne. D'ailleurs, je suis allé sur le net et ai découvert qu'elle était passée à deux reprises à « La Grande Librairie » dont récemment avec
Augustin Trapenard. On peut la voir également dans différentes interviews données sur TV5 monde et à France Culture entre autre.
Je terminerai par ce très beau néologisme qui constitue un des chapitres de son récit et qui la caractérise parfaitement : Langagement.