Citations sur Chanson douce (573)
Les squares, les après-midi d'hiver. Le crachin balaie les feuilles mortes. Le gravier glacé colle aux genoux des petits. Sur les bancs, dans les allées discrètes, on croise ceux dont le monde ne veut plus. Ils fuient les appartements exigus, les salons tristes, les fauteuils creusés par l'inactivité et l'ennui. Ils préfèrent grelotter en plein air, le dos rond, les bras croisés. A 16 heures, les journées oisives paraissent interminables. C'est au milieu de l'après-midi que l'on perçoit le temps gâché, que l'on s'inquiète de la soirée à venir. A cette heure, on a honte de ne servir à rien.
"C'est ma nounou", crie-t-il, en la montrant du doigt,
comme s'il ne comprenait pas qu“elle puisse vivre ailleurs, seule,
qu'elle puisse marcher sans prendre appui sur une poussette
ou tenir la main d'un enfant.
Il demande:
"Elle va où, Louise?"
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"Nous ne serons heureux, se dit-elle alors, que lorsque nous n'aurons plus besoin les uns des autres. Quand nous pourrons vivre une vie à nous, une vie qui nous appartienne, qui ne regarde pas les autres. Quand nous serons libres."
Elle voudrait élargir l'horizon de ces enfants voués à devenir des gens corrects, à la fois serviles et autoritaires. Des froussards.
Le soleil s'est enfoncé dans la mer, mais il ne fait pas sombre. La lumière a juste pris des teintes pastel et on voit encore les détails du paysage. Le contour d'une cloche sur le toit d'une église. Le profil aquilin d'un buste en pierre. La mer et le rivage broussailleux semblent se détendre, plonger dans une torpeur langoureuse, s'offrir à la nuit, tout doucement, en se faisant désirer.
C'est le mal du siècle. Tous ces enfants pauvres sont livrés à eux-mêmes, pendant que les deux parents sont dévorés par la même ambition. C'est simple, ils courent tout le temps. Vous savez quelle est la phrase que les parents disent le plus souvent à leurs enfants ? "Dépêche-toi ! "
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Ce n'est jamais clairement dit, ils n'en parlent pas, mais Louise construit patiemment son nid au milieu de l'appartement.
Sa logorrhée tremblante et décousue ne faisait qu'augmenter l'angoisse qui s'était emparée de Jacques, celle d'être dans son corps comme en haut d'un escalier dont on a raté une marche et qu'on se regarde dégringoler, la tête la première, le dos broyé, les chairs en sang.
Le fait de la voir sur ce trottoir, par hasard, dans un lieu si éloigné de leurs habitudes, suscite en elle une curiosité violente. Pour la première fois, elle tente d'imaginer, charnellement, tout ce qu'est Louise quand elle n'est pas avec eux.
Pendant que les enfants courent sur les graviers, qu'ils creusent dans le bac à sable que la mairie a récemment dératisé, les femmes font du square à la fois un bureau de recrutement et un syndicat, un centre de réclamations et de petites annonces.
Ici circulent les offres d'emplois, se racontent les litiges entre employeurs et employés,.
Les femmes viennent se plaindre à Lydie, la présidente autoproclamée, une grande Ivoirienne de cinquante ans qui porte des manteaux en fausse fourrure et se dessine de fins sourcils rouges au crayon.