Citations sur 33 révolutions (38)
Le bus est en route pour l'abattoir du quotidien (des gens accrochés aux portes et aux fenêtres, des mains baladeuses à l'intérieur, la pêche du petit malin) et finit par s'arrêter au carrefour de deux avenues figées dans le temps.
Ils passent des heures à boire du rhum. L'alcool provoque l'inévitable nostalgie, ce disque rayé du passé lointain...
Le vent s'infiltre à travers les fentes, les tuyauteries sifflent, l'immeuble est un organe commun aux familles qui l'habitent. Rien ne ressemble à la musique d'un cyclone : elle est unique, reconnaissable entre toutes, d'une qualité sans égale. Dans le petit appartement, les murs peints d'une couleur indéfinissable, sans ornements ni images, s'accordent avec les quelques meubles, le téléviseur en bois, le tourne-disque russe, la vieille radio, l'appareil photo pendu à un clou. Le téléphone décroché et les livres par terre. L'eau se glisse par les fenêtres, les murs dégoulinent et des flaques d'eau se forment sur le plancher. De la boue. De la crasse, encore de la crasse. Un disque rayé et crasseux. Des millions de disques rayés et crasseux. La vie toute entière n'est qu'un disque rayé et crasseux. Répétition sur répétition du disque rayé du temps et de la crasse.
Il se sent vieux, maigre, sale, paumé - qu'est-ce qui a changé depuis hier? Il se demande à nouveau s'il n'est qu'un esthète tourmenté, et il ne sait pas quoi répondre. D'un côté, comme n'importe qui sur ce disque rayé, il vit plongé dans l'épopée de la dignité pauvre mais digne, du sacrifice comme modus vivendi et de la résistance comme dépassement; d'un autre côté - il se torture lui-même - il ne comprend pas en quoi la pauvreté est une oeuvre d'art ou l'échelon suprême de l'évolution sociale.
Il s'assied au comptoir, commande un rhum, allume une cigarette et laisse errer ses pensées : l'univers est un disque rayé, qui échappe totalement à la relativité ou à la physique quantique, plein de sillons où se déroule cette vie de poussière cosmique, de graisse industrielle et de goudron quotidien. Il boit une longue gorgée, se racle la gorge et penche la tête, écoeuré et reconnaissant.
Le rhum est l'espoir du peuple, se dit-il.
Il se sent vieux, maigre, sale, paumé - qu'est-ce qui a changé depuis hier? Il se demande à nouveau s'il n'est qu'un esthète tourmenté, et il ne sait pas quoi répondre. D'un côté, comme n'importe qui sur ce disque rayé, il vit plongé dans l'épopée de la dignité pauvre mais digne, du sacrifice comme modus vivendi et de la résistance comme dépassement; d'un autre côté - il se torture lui-même - il ne comprend pas en quoi la pauvreté est une oeuvre d'art ou l'échelon suprême de l'évolution sociale.
Le pays entier est un disque rayé, tout se répète : chaque jour est la répétition du précédent, chaque semaine, chaque mois, chaque année; et, de répétition en répétition, le son se dégrade jusqu'à n'être plus qu'une vague évocation méconnaissable de l’enregistrement original.
D’un coté, comme n’importe qui sur ce disque rayé, il vit plongé dans l’épopée de la dignité pauvre mais digne, du sacrifice comme modus vivendi et de la résistance comme dépassement; d’un autre coté, il ne comprend pas en quoi la pauvreté est une oeuvre d’art ou l’échelon suprême de l’évolution sociale. P. 56
Il était, donc, d'une conscience à toute épreuve : pas brillant, mais engagé. Jusqu'au jour où il avait commencé à lire; d'abord timidement, presque craintivement - comme s'il s'était agi de quelque chose d'interdit -, puis de façon compulsive : affalé sur la canapé, le paquet de biscuits dans une main et le livre dans l'autre.
Nous résistons dans l'isolement. Nous survivons dans la répétition.