- Au fait, demande-il, comme si la chose était sans importance, tu sais quelque chose sur le remorqueur qu'ils ont coulé ?
- Quel remorqueur? lui renvoie aussitôt l'ex-gros. Tu n'as pas appris que les choses ne se passent que si les infos disent qu'elles se sont passées ? Tu as entendu une version officielle ?
Il secoue la tête et l'ex-gros poursuit: _ S'ils n'ont rien dit, c'est parce quequ'il ne s'est rien passé. La discussion est close, camarade.
Aujourd'hui c'est la paie, et c'est comme si le nihilisme quotidien prenait un sens, la farce de l'utile, le délire du service.
Le roman, en revanche, le saisit à chaque page, et il se plonge dans la tragédie annoncée d'un personnage anonyme et banal - si lointain, si étranger qu'il finit par s'en sentir proche.
(Dans « les héritiers de Che » livre cosigné avec Jorge Masetti aux Presses de la Cité)
Le « moi », c'était bourgeois et décadent ; le « nous »révolutionnaire et moderne. Moi, je prenais tout ça à contre-pied, ainsi que le "nous tous" englobant mes amis et moi. Ce n'était que l'expression de cette manifestation naturelle d’auto affirmation que vit n’importe quel jeune alternatif où qu'il soit. Mais? alors que dans les sociétés du monde capitaliste, les jeunes alternatifs se révoltaient contre l'obsession de la grosse voiture et de la maison avec piscine, nous, à Cuba, nous nous révoltions contre une image du succès qui consistait à avoir la carte de l'Union des jeunesses communistes et à monter dans la hiérarchie politico-militaire (ce qui incluait maison et voiture). Là-bas, on se révoltait contre le capital, parce que le capital était tout; ici c'était contre l'État, parce que l'État était tout.
(Le chef)
Sa voix rappelle la flûte quand il reçoit des ordres et le trombone quand il en donne.
L'aiguille se coince dans le sillon et l'avenue tropicale est pleine d'Ourals, de Volgas, de Moskvitchs et de Polskis. A l'intérieur, l'air conditionné et la boutique pour diplomates remplie de jolies choses. Dehors, l'asphalte bouillant, la brise inexistante et la soif; à l'intérieur la bière fraîche, les gadgets et la nourriture; dehors, la faim et le silence. Deux mondes en un, deux dimensions, deux univers : deux patries et deux morts.
Il sait que c’est toujours comme ça; devant l’absence d’information, il ne reste que les spéculations et les rumeurs. Elles se propagent comme un virus dans cet organisme sans défense, rendant impossible la distinction entre réalité et imagination. P. 63
La patrie, cette chose étrangère qui exige la mort de ceux qui la composent, se dit-il. Une institution cernée par les ennemis, une paranoïaque permanente qui fait appel à nous. Nous lui devons tout. Notre obligation première , c'est elle. Sans elle, nous ne sommes rien, se dit-il.
Voir passer le temps est le passe-temps favori du peuple.
La seule chose qui fonctionne ici, se dit-il, c'est la fête, l'orgie, le phallocentrisme et l'épopée de la chatte (matérialisme érotique).