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Critique de Newsorleanswebradio


Je connaissais Maylis de Kerangal, notamment pour Réparer les vivants, mais pas Joy Sorman. Ce livre a été pour moi une belle découverte. Seyvoz, le nom d'un village englouti pour permettre l'édification d'un barrage… au nom du progrès et de la fée électricité. Il me semble que ce roman a été inspiré par l'engloutissement du village de Tignes, submergé en 1952 par le lac de retenue du barrage construit dans la vallée. Par la suite, les Tignards reconstruiront leur nouveau village plus haut et décideront de reproduire l'ancienne église à l'identique. L'église Saint-Jacques-de-Tarentaise, aujourd'hui à l'entrée du village de Tignes 1800, est la reproduction de l'ancienne église et les retables en proviennent.

Voici la présentation lue en quatrième de couverture :
« Tomi Motz, ingénieur solitaire, est mandaté par son entreprise pour contrôler les installations du barrage de Seyvoz dont l'édification, dans les années cinquante, a entraîné la création d'un lac artificiel et englouti le village de montagne qui se trouvait là.
Pendant quatre jours, Tomi arpente la zone. Sous l'effet d'un étrange magnétisme, sa mission se voit bientôt perturbée par une série de troubles sensoriels et psychiques. Autour de lui, le réel se dérobe ; tout vacille, les lieux et les comportements, les jours comme les nuits, et peut-être jusqu'à sa propre raison.
S'aventurant aux lisières du fantastique, ce roman sonde les traces d'une catastrophe. Maylis de Kerangal et Joy Sorman y font résonner une mémoire immergée, mais insistante, et affleurer les strates de temps qui se tiennent dans les plis du paysage. »

Le roman est découpé en quatre chapitres qui correspondent aux quatre jours que va durer la mission de Tomi, et écrit à deux voix : celle de Tomi et celle de l'histoire du village, écrite en bleu, qui raconte l'évacuation du village, les choix faits par les habitants à la veille de leur départ de ce lieu qui renfermait l'histoire de leurs familles, leurs rêves et leurs projets, les aventures parfois dramatiques des ouvriers qui ont construit le barrage.

Tomi est donc envoyé en mission et là il se retrouve seul, sans réseau téléphonique ni Internet, sans contact avec quiconque, livré à des phénomènes étranges et déroutants. Déjà perturbé par l'arrêt du tabac, il se trouve confronté à la mémoire des lieux, à la mémoire de ceux qui sont restés jusqu'au bout et qu'il imagine, et il va essayer d'expliquer les sensations étranges qui l'assaillent alors qu'il se trouve près de cet ouvrage d'art qui a coûté tant de souffrance !

J'ai beaucoup apprécié ce livre, écrit avec finesse et sensibilité, sans parti pris – c'est au lecteur de se faire sa propre opinion – avec poésie et respect également, poignant et très fort. C'est un livre engagé, mais sans plaidoyer ni revendications sauf peut-être cette déclaration faite page 69 par un des bergers rencontrés sur le chemin : « tu as détruit notre vallée, tu es venu ici en colon, en occupant, et tu as noyé nos maisons, nos granges, nos tombes, tu as électrifié le fond de la bouillasse pour que les citadins puissent faire tourner les sèche-linge, tu as racketté les sols et coulé des tonnes de béton pour ériger un mur sur la rivière, ce mur hideux du progrès… ».

Le découpage du livre donne du sens et du rythme. le personnage de Tomi est crédible et humain. J'ai trouvé très approprié et chargé de symboles dans le rappel du passé de commencer par relater le sauvetage des trois cloches, Alba, Égalité et France qu'on a descendues du clocher et qui donnaient une présence et une âme au village. Dans ce livre, le réel et l'imaginaire se côtoient et s'entremêlent adroitement, contribuant à construire une atmosphère intrigante, mais jamais pesante.

Une très belle lecture, un livre qui ne laisse pas indifférent et dont on se souviendra. Et, pour terminer cette présentation, en voici un passage de la page 21 (écrite en bleu) :

« Enfants, bêtes, cloches. La ligne de basse de leur existence. Tant qu'elle résonne ils sont chez eux, vivants ; tant qu'elle vibre, leur monde perdure, intact –leur monde, soit ce vallon évasé, assez large pour qu'y descende le soleil, une alvéole chaude et fertile, une rivière au débit tonique, et tout autour, étagés, les alpages en pentes douces, la frise de crêtes tendres et de sommets jamais atteints. Seyvoz, si proche du paradis, un camp de base avant le Ciel.  »
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