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Citations sur Roman (11)

Enfant, déjà, il grimpait sur le toit et contemplait longuement la rivière, les isbas, l'église, les arbres, repérant les gens, les animaux qui se mouvaient, et une agréable torpeur s'emparait de lui. Il s'était aperçu, alors, qu'il était parfois autrement plus plaisant d'observer le monde que d'y vivre (p. 291).
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Il affectionnait le flamand Bruegel, qui avait inventé le genre du paysage en peinture et s'était immortalisé par sa remarquable série des "Saisons"; il prisait en Turner le magnifique coloriste et les aquarelles inimitables de Bonington, les champs vespéraux de Millet, les ombres de Claude Lorrain, appréciait hautement l'audace de Cézanne et le regard neuf de Monet. Cependant, pour les paysages, Roman aimait et respectait par-dessus tout Levitan.
Il avait noté depuis beau temps que chaque paysagiste russe avait ses thèmes de prédilection : pour Chichkine, c'étaient les Forêts de pins, pour Vassiliev les marécages, les flaques et les trouées dans la neige, pour Venetsianov, les champs de blé à la midi, pour Kouindji, les méandres des fleuves. Mais aucun d'eux n'avait ce lien direct, parfait, avec la nature russe, aucun ne l'avait reflétée aussi pleinement et sincèrement que Levitan. Roman restait des heures devant ses toiles, à s'émerveiller de la simplicité et de la clarté de ce regard de peintre, en même temps que de son art consommé, si discret qu'on le remarquait a peine.
-Le paysage est un état d'âme, répétait encore et encore Magnitski, et son élève savait que le seul paysagiste à avoir exprimé jusqu'au bout l'état de l'âme russe était Levitan. Roman ne cherchait pas à l'imiter, il "vivait" la même obsession du paysage russe.
A chaque fois qu'il commençait une étude ou une toile, il se remémorait le visage paisible, voilé de tristesse, de cet homme, ses grands yeux juifs, dans lesquels s'était à jamais reflétée la Russie...
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La rivière exhalait sa fraîcheur, les buissons de saules et les jeunes bouleaux avaient revêtu leurs feuilles vertes toutes neuves, que la brise faisait froufrouter, et ce bruit nouveau, si longtemps attendu, réjouissait le coeur. Le réveil de la nature causait toujours une vive émotion à Roman. Au printemps, il se sentait complètement différent : son âme éprouvait ce que ressent un homme qui, au terme d'une très longue absence, revient au pays. La raison en était que Roman ne considérait pas autrement l'hiver que comme une pause entre deux printemps, pause qui pour lui n'était pas la vie, juste l'existence. Il en résultait, que, de son point de vue, l'hiver, la nature et les hommes ne vivaient point, qu'ils se contentaient d'exister dans l'attente du printemps. Cette existence avait à présent pris fin, ce que lui murmuraient distinctement les petites feuilles poisseuses.
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Est-il rien de plus beau, de plus charmant et de plus simple qu'un bouquet d'herbes et de fleurs des champs, au temps brûlant de la fenaison ?
Ni les roses éclatantes,ni les somptueux glaïeuls, ni les lys, ni les orchidées ne sauraient éclipser cette beauté unique, cette ample gamme de formes et d'inflorescences : campanules d'un bleu sombre, frémissant timidement, innocemment penchées sur leurs tiges fines; marguerites aimables dans leur simplicité; gracieuses renoncules aux fleurs jaune tendre, baignées de larmes, trèfles confiants, duveteux, d'un doux rose; millepertuis généreux, dense comme le tilleul épanoui; turbulent chardon-aux-ânes, à la magnificence princière; modeste épilobe; gueule-de-loup grisante de tendresse; laiteron frugal et droit, évoquant un guerrier moyenâgeux; solide et fielleux colza; orchis alambiqués, comme taillés dans du bois de santal; mille-feuille que l'on remarque à peine; stupéfiante fougère, enfin, qui enroule ses feuilles sculptées.
Que d'harmonie dans cette sorte de bouquet !
Cueilli de frais dans le pré que l'on n'a pas encore fauché, lié d'une herbe, il enchante les yeux, exhale le parfum entêtant de la prairie, attire les insectes qui zonzonnent au-dessus.
Nul besoin, pour lui, de coupe ou de vase. Un verre à facettes ou une flûte étroite souligneront qu'il est unique.
Roman aimait les fleurs des champs.
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Esturgeon et saumon, caviar pressé et jambon fumé, sandre en aspic et brochet farci, tomates au sel, lactaires délicieux, bolets, pommes macérées, chou aigre aux airelles, tout s’entassait sur des assiettes et des plats à touche-touche, formant un fantastique paysage, au milieu duquel pointaient, ici ou là, les tours de cristal multicolore des carafons de vodka, de vins, de liqueures en tous genres
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Une petite clairière s’offrit à ses yeux, où gisait le corps d’un chevreuil. Un vieux loup était grimpé en travers. Ses pattes de devant posées sur le ventre déchiqueté, sanglant, du pauvre animal, il en arrachait avidement des morceaux de tripes, qu’il avalait promptement, sans mastiquer, en émettant une sorte de plainte, parfaitement répugnante. La tête grise, aplatie, du loup évoquait une grosse pierre, ses yeux troubles et jaunâtres semblaient aveugler. Sa gueule étroite de brochet était maculée de sang.

Roman l’observait, retenant son souffle, tandis qu’un sentiment de répulsion s’emparait de lui. De ses mains si crispées qu’elles avaient blanchi aux jointures, il tira son couteau du panier et posa ce dernier sur le sol.

Le loup referma ses mâchoires sur l’extrémité des côtes, tira convulsivement, imprimant, en même temps, une sorte de convulsion au corps du chevreuil. Les os craquèrent sous les dents du fauve. Roman assura plus fort le couteau dans sa dextre. Il y avait, dans toute cette scène de festin sanglant au milieu des troncs blancs, dans cette forêt inondée de lumière, une indécence confinant à l’ignoble. Ces gémissements bestiaux, ce craquement des jeunes os, les sabots inertes, tournés vers le ciel, cette tête de pierre, enfin, aux yeux de tueur, suscitèrent en Roman un frémissement de haine.

Dans une sorte d’inconscience, il leva son poing armé du couteau et, poussant un cri perçant, quitta son abri pour s’élancer vers le loup. Indolente et pataude jusqu’alors, la bête quitta d’un bond élastique la charogne et, claquant méchamment des mâchoires, s’enfuit dans les profondeurs de la forêt, traînant derrière elle sa grosse queue, aussi roide qu’une bûche. Le loup ne courait pas très vite, il bougeait souplement ses pattes, balançant son arrière-train maigre et jetant de fréquents coups d’œil vers Roman, qui, à l’inverse, fonçait autant qu’il le pouvait, le couteau brandi, à toutes fins utiles.

Voyant que l’adversaire ne cédait pas de terrain, le loup cessa de regarder en arrière et augmenta l’allure. Son long corps gris parut s’allonger encore, on eût dit qu’il s’étendait au-dessus du sol. La distance entre la bête et l’homme s’accrut. Déjà, Roman ralentissait, quand le loup s’immobilisa soudain et, affrontant son poursuivant, s’assit sur ses pattes souples comme des ressorts. C’était si inattendu que le jeune homme s’arrêta à son tour.

Une dizaine de pas les séparaient.

La bête dardait sur l’homme ses yeux jaunes, montrant les dents, et grognant faiblement, la queue serrée contre les pattes, tel un ressort prêt à la détente. Roman tentait d’humidifier de sa langue les lèvres sèches et faisait lentement mouvement vers le loup. Il n’éprouvait pas l’ombre d’une peur, empli qu’il était du désir d’une empoignade ; chacun de ses muscles était bandé, le sang avait quitté son visage, son cœur battait à grands coups sonores. Le loup parut se tasser encore et se mit gronder. Sa gueule et ses pattes de devant étaient maculées de sang.

Roman marchait sur lui.

La bête resta légèrement en arrière, puis, le souffle rauque, se précipita sur lui. Elle bondit si rapidement que le jeune homme eut tout juste le temps de se protéger le visage de son bras gauche. Aussitôt, les dents du loup se plantèrent dans son coude. Roman chancela, recula, mais ne tomba pas. Il planta de toutes ses forces le couteau dans les flancs de l’animal, et eut l’impression que la lame s’enfonçait dans le vide. Le loup lâcha immédiatement son coude et saisit entre ses mâchoires l’avant-bras de Roman. Le jeune homme, à son tour, l’agrippa par la crinière et tomba sur lui. Le corps de la bête s’agitait follement, le loup grognait et mordait si bien le bras de Roman que celui-ci ne put retenir un hurlement de douleur. Alors, avec l’énergie du désespoir, il abattit son point gauche sur le crâne du fauve, qui lâcha prise. Le jeune homme voulut, sans attendre, lui planter son couteau dans la gueule, puis dans le crâne, en l’attrapant, de sa main gauche, par la peau du cou. Mais l’arme n’entrait pas dans cette large tête plate. Elle y dérapa comme sur un pavé entaillant un doigt de Roman. Cela décupla ses forces et sa haine. Poussant un hurlement inhumain, il plaqua de son bras gauche, contre le sol, la gueule qui montrait les dents et mordait, tandis que du droit il frappait le flanc gris clair. Le loup se contracta, lui échappa, ses dents agrippèrent à leur tour le flanc de Roman. Ne ménageant pas ses doigts, celui-ci saisit la bête par la gueule, prit un peu de recul et, de toutes ses forces, abattit son couteau sur le large cou. La courte lame heurta quelque chose de dur, évoquant une pierre. Le loup se tendit de tout son corps, dans une tentative pour se libérer, mais Roman frappait encore et encore, enfonçant sa lame dans le cou de la bête. Les pattes du loup se raidirent, on eût dit qu’il cherchait quelque chose dans l’herbe, il émit un son rauque, esquissa des mouvements sans force, désordonnés. Roman le tenait le plus serré possible, ne cessant de lui porter des coups. Lorsqu’enfin le corps gris, velu, s’apaisa, il retira son arme et, épuisé, se laissa tomber sur le dos.

Les bouleaux infinis fuyaient dans les hauteurs bleu sombre du ciel, leurs feuilles, presque invisibles, bruissaient faiblement, le soleil jouait dans les couronnes vertes.

– Je l’ai tué… murmura Roman, d’une voix rauque. Je t’ai tué, assassin…

Ses yeux étaient emplis de larmes, les bouleaux, le ciel, les feuillages, tout se mêlait à sa vue.

– J’ai tué… chuchota-t-il, pleurant et riant à la fois. Je t’ai tué, je t’ai tué !
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– Fichu temps… maugréa Kliouguine en regagnant la rive.
Il trébucha et se retrouva à l’eau.
Roman, envoûté par la puissance de la nuée, n’avait pas bougé.
Le deuxième coup de tonnerre fut brutal, à croire que, là-haut, des mains monstrueuses débitaient, déchiraient un arbre énorme, dont les deux moitiés s’abattaient sur le sol, faisant trembler les vitres.
– Vite, Roman ! cria Anton Petrovitch, avant de se réfugier dans l’étuve avec ses compagnons.
Timochka accourut et, pataugeant, attrapa le samovar qu’il emporta.
Roman ne bougeait toujours pas.
Le troisième coup fut plus fort que les précédents : les petites cuillers, oubliées dans les chopes, tintèrent plaintivement. Roman sentit l’eau tanguer.
Aussitôt, de grosses gouttes d’eau tombèrent, de plus en plus nombreuses, troublant la surface sombre de l’eau où elles traçaient des cercles qui s’élargissaient et se confondaient. Ils se multiplièrent d’abord, puis une muraille d’eau blanche s’abattit, d’u coup. La rivière parut bouillonner et se soulever. Roman regardait l’averse fouetter la table, jouer dans les chopes, emplir les coupelles de confiture, frapper les petits pâtés dorés et les vatrouchkas. Il reprit son thé dilué par la pluie : le goût en était stupéfiant. Des ruisselets de fraîcheur coulaient sur son visage, ses épaules et son torse. Il reposa sa chope, se tourna vers la rivière en ébullition et, prenant son élan, se remit à nager, fendant la surface fragile de l’onde.
Le ciel se déchaînait au-dessus de lui, derrière quelqu’un criait son nom, mais il nageait dans l’élément blanc en furie. Il nageait, indifférent à tout, un sourire aux lèvres.
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Le champignon, humide, exhalait son inimitable arôme, qui fit palpiter le coeur de Roman, lui rappelant aussitôt son enfance et le plaisir de la cueillette. Un côté du chapeau marron clair était rongé par une limace, la courbe harmonieuse, élégante, du pied solide était un enchantement. Roman approcha le cèpe de son visage en fermant les yeux.
"Quelle merveille ! se dit-il, examinant le champignon reposant sur sa paume. Quel travail d'orfèvre pour une si petite chose ! D'ailleurs, qu'est-ce qu'un champignon ? Cela sort de terre, invisible dans l'herbe. Et qui en a besoin ? Hommes et animaux peuvent s'en passer. Est-il possible qu'il soit créé uniquement pour les limaces, avec ses pores minuscules, son délicieux chapeau à doublure blanche, son incomparable arôme ?
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Roman avait un don qui le plaçait au nombre des gens hors du commun, voire un peu étranges. Enfant, déjà, il avait remarqué qu’il prenait un vif plaisir à éclairer les événements de manière à captiver ses auditeurs, à éveiller en eux certain frémissement, afin d’être en mesure de vibrer à son tour. Cela n’impliquait nullement qu’il mentît ou se perdît en élucubrations ; bien au contraire, il rapportait tout très exactement, dans les moindres détails, mais s’y employait comme nul autre. On eût dit qu’il allumait en lui-même quelque invisible lanterne magique, la braquait sur l’événement décrit, et tout étincelait soudain de fantastiques couleurs, embrasant et emportant l’auditoire et le conteur, de sorte qu’on n’eût su démêler lequel en retirait le plus d’amusement.
À présent encore, évoquant, à l’intention de son oncle, la première de cette pièce, il sentait, dans sa poitrine, la présence de cette « lanterne magique », éprouvait le désir inspiré d’enflammer son interlocuteur. Il se mit donc à raconter, à sa manière passionnée et enthousiaste.
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Au premier regard, la maison pouvait sembler la perfection même : entourée de buissons de lilas, elle était peinte en bleu azur ; l’auvent du perron reposait sur deux colonnes de bois, les gouttières brillaient de toute leur ferraille neuve, le toit faisait honneur au couvreur, le belvédère aux vitres étincelantes s’agrémentait de sa petite tour ornée d’un coq ouvragé.
À l’intérieur, cependant, les choses étaient loin d’être aussi irréprochables : le plancher que foulait à présent Roman était vermoulu et se creusait, promettant de s’effondrer quelque jour, les terrasses étaient encombrées, ensevelies sous un tas de vieilleries – commodes au bois fendillé, corbeilles percées, cages à oiseaux, innombrables pots de fleurs, malles, sacs de voyage, cartons à chapeaux cabossés, sans parler des livres gisant un peu partout. Le salon, en dépit de son air pompeux, évoquait un aristocrate ruiné : le piano noir et massif, au vernis craquelé et aux touches jaunies, était définitivement délabré et désaccordé. Le tapis persan montrait des points d’usure, le divan de cuir était défoncé, à l’instar des fauteuils. Les tableaux, qui couvraient presque entièrement les deux murs principaux – représentant, pour l’un, la baie de Naples par une nuit de lune et, pour un autre, la bataille de Cannes -, s’écaillaient, leurs cadres dorés étaient pitoyables et des bouts de dorure crissaient sous les pieds, telles des coquilles d’œufs au moment de Pâques. Le buste en marbre de Voltaire, en revanche, sur son socle nervuré, rayonnait de blancheur. Les pièces étaient exiguës, poussiéreuses, les vieux meubles fendillés et si bancals que les portes des armoires ne fermaient plus et que seul un Hercule eût été en mesure, peut-être, d’ouvrir les tiroirs.
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