Les parcours de la matinée avaient-ils été exempts de froissements pour ma sensibilité, et le restaurant où je m'asseyais n'était-il que discrètement peuplé ? je notais en dépliant ma serviette une poussée d'allégresse. Mais, à mesure que la nourriture venait mêler son ignorante nouveauté aux habitudes anciennes de l'organisme, dans l'atmosphère épaissie des fumées et des propos, se produisait une chute accélérée de mon goût de vivre. Vers les deux heures, la pesanteur de l'estomac, la chaleur du jour, l'aigreur de la lumière et des odeurs se coalisaient pour me rétrécir le coeur.
L’homme est un animal qui joue à se faire peur.
Ne peut-on être sans paraître ?
On dit communément que je suis dans l lune. Précision inutile. Il est vrai que je ne suis pas tout à fait sur la terre. Je ne m’y sens pas chez moi.
Le voyageur solitaire n'est jamais seul, il voyage avec l'idée de sa mort.
Pourquoi partais-je ? Rien, pas même un vague désir ne m'invitais à le faire. Mais l'absence de raisons devenait une raison. On allait me voir dans des lieux où rien ne justifiait, ni n'interdisait ma présence. J'allais montrer à des rues et des campagnes que l'on peut être parmi elles, comme elles sont elles-mêmes, sans intentions, sans souvenirs, en dépit des significations dont on les accable pour excuser celles que l'on veut se donner.
Ah ! Que ne peut-on être assez beau pour n'avoir jamais qu'à paraître !
N'est-il pas plus sage, plus prudent, plus prudent, d'éveiller les curiosités que de les satisfaire ?