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EAN : 9782266008518
Pocket (18/03/1998)
4.07/5   85 notes
Résumé :

Vous connaissez le passé, imaginez le futur, redoutez le présent : il vous reste à découvrir le présent vieilli, ce temps inédit inventé par Jacques Spitz dans un roman phénoménal considéré comme un des classiques du roman d'anticipation français. Son héros, un peintre raté résolu au suicide, va vivre une expérience hors du commun qui te conduira où nul n'est allé : ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (29) Voir plus Ajouter une critique
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Vous lecteurs ! Vous qui lisez ce billet ! Pauvres petites âmes mortelles ! Surtout faites pénitence suffisante avant votre trépas sinon... Sinon qui sait ce qu'il pourrait advenir. Comme Jean Poldonski le narrateur de cet étonnant roman d'anticipation, vous pourriez être condamnés à voir l'inimaginable, vous pourriez être condamnés à ne plus jamais voir les nuages, les fleurs, les couleurs, la beauté et la jeunesse du monde qui vous entoure et n'avoir pour seul horizon que le crépuscule désolant et infini.

Jacques Spitz a écrit L'oeil du purgatoire en 1945, il a été réédité en 1972. Il est considéré comme l'un des plus grands classiques du roman d'anticipation. Verdict : brillant.

Une écriture audacieuse parfois même dérangeante, teintée d'humour noir, qui met en scène dans un Paris intemporel (l'auteur a choisi de ne pas dater les faits) Jean Poldonski, jeune peintre raté et égocentrique qui cultive, il faut bien le reconnaître, l'art de la misanthropie avec excellence. Blasé de la vie, suicidaire, la seule chose qui le retient sur terre c'est son génie (auquel il est bien le seul à croire) et les femmes (dont il n'a que peu de respect ceci-dit en passant).

Mais la vie peut parfois prendre un tournant inattendu. Une rencontre hasardeuse rue de Rivoli dans une boutique de cartes de visite avec Christian Dagerlöff, une espèce d'illuminé, de savant fou, qui officie comme laborantin à l'Institut Pasteur, va modifier irrémédiablement le cours de la misérable petite vie de notre narrateur Une rencontre qui va le mener tout droit dans les méandres du temps, de l'espace-temps plus précisément, par le biais d'un bacille que Dagerlöff en personne lui inocule à son insu dans les yeux, lui offrant ainsi la capacité de percevoir le "présent vieilli".

Ce qui n'est au départ qu'une vision anodine d'un présent vieilli va progressivement se transformer en une vision plus aboutie dans le temps mais aussi bien plus effrayante. Poldonski ne voit pas l'avenir, oh non, pire que ça, il voit la dégénérescence, le désordre, la destruction, les ruines, de tout objet, de toute matière, vivante, organique. Comment supporter cette vision chaotique et ce décalage qui apparaît entre ce qui est (dans le présent) et ce qu'il voit (dans le présent vieilli) ? Comment ne pas devenir fou ?

Imaginez une pomme, une belle Granny Smith, bien verte, toute lisse, toute brillante, si vous aviez la capacité de percevoir le présent vieilli, vous ne verriez que le trognon informe et insipide de cette pomme. Il en serait de même pour tout ce qui vous entoure. Comment pensez-vous que vous percevriez alors les hommes ? Je vous laisse le soin d'imaginer...

"L'oeil du purgatoire" c'est la misanthropie, c'est la solitude d'un homme condamné à voir ce que personne ne supporterait de voir. N'y aurait-il pas là comme une punition ou un châtiment divin envers celui qui peu de temps encore auparavant abjectait les hommes et sa propre vie ?
N'est-il pas vrai que c'est quand on perd définitivement une chose, que l'on se rend compte combien elle était importante à nos yeux ?

"Certains hommes vivent leur paradis sur terre en subissant l'enfer de leur purgatoire."
(Anonyme)

* Je remercie Tetrizoustan qui a rendu possible cette lecture et dont la critique m'a aussitôt rappelée à ce roman.
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"La croyance dans les démons se trouve à la racine de notre concept de causalité."
(A. Einstein)

Voyage, voyage... dans le temps, entre les galaxies, à l'intérieur du corps humain... la SF a déjà exploré un tas de chemins. Mais arrivez-vous à imaginer un voyage dans la causalité ?
Nous savons tous qu'il y a un rapport irréfutable entre la cause et son effet; autrement dit, la connaissance de la "cause" permet de prévoir des "choses" à venir. On sait pourquoi notre corps vieillit, et pourquoi il en va de même pour les choses qui nous entourent. Alors, logiquement et en toute lucidité, on peut prévoir notre inévitable "retour à la poussière". C'est triste, mais c'est comme ça; les empiriques et les positivistes ne vont pas le démentir. Avec sa phrase, Einstein rajoute un brin de métaphysique, et on commence déjà à se rapprocher du livre de Spitz.
J'ai un rapport spécial, avec la SF. Quand j'ai envie d'un peu de SF, je me contente d'imaginer qu'il y a quelque chose d'intéressant le samedi soir à le télé, ou que je fais le ménage pour le plaisir. Sauf que, dans ce cas, le rapport de cause à effet est un peu brouillé, et le peu de SF qui a passé entre mes mains m'a toujours bien plu. Y compris ce court roman de Spitz, qui nous immerge peu à peu dans sa sombre vision de la "causalité".

Il ne serait peut-être pas sans intérêt de savoir quelque chose sur cet auteur un peu oublié par les éditeurs, né dans la dernière décennie du 19ème siècle. Est-il tout à fait compréhensible de devenir écrivain et poète surréaliste après des études d'ingénieur ? La plupart de ses romans fantastiques datent des années 30-40, et le surréalisme, l'un des courants toujours en vogue à l'époque, s'y reflète avec bonheur, sans oublier le fait que cet ancien diplômé de polytechnique sait vraiment bien écrire, et possède le don de rendre ses descriptions aussi visuelles qu'un roman-photo.

Jean Poldonski est un misanthrope cynique, un peintre dépressif au génie incompris. Par hasard, son chemin va croiser celui de Dagerlöff, un étrange vieillard et un "génie" authentique, comme l'affirme la carte de visite qu'il offre à Poldonski. Leur bref échange convainc plutôt le peintre que ce Dagerlöff est un authentique fou, mais quelque chose l'attire : peut-être ces divagations sur la causalité, peut-être juste l'envie de mépriser ouvertement ce prétendu "génie". Peu importe, car Poldonski a déjà décidé de faire ses "adieux au monde cruel", le soir même de la dernière altercation avec Dagerlöf. Pourtant, quelque chose a changé...
Ses idées morbides s'envolent comme par magie, car soudain le monde devient un merveilleux paradis parfaitement équilibré. Mais pour combien de temps ?
Quand vous commencez à remarquer des petits détails - un coin jauni de votre livre, une fleur fraîchement cueillie déjà fanée, un cheveu blanc qui n'était pas encore là hier - cela peut encore aller.
Et puis, tout s'accélère.
Vous vous souvenez peut-être de cette scène dans le "Dracula" de Coppola, où le bouquet de fleurs sèche subitement au passage du vampire : voilà le monde tel que le voit désormais Poldonski. Chaque regard dans son miroir est une contemplation du portrait de Dorian Gray, et ses sorties deviennent peu à peu des excursions dans les gravures macabres de Vogelmut. A la fois terrifiant et hilarant, mais comment ne pas devenir fou : tout cela n'est qu'une illusion, un effet d'optique vu par l'oeil du purgatoire; le monde se porte à merveille. C'est le regard de Poldonski qui ne va pas, alors comment se comporter avec ses proches, en train de devenir des... brr !
Et quoi faire, en voyant sa propre mort s'approcher dans un miroir, en supposant que dans le monde "normal" nous sommes toujours bien portants ? Où est Dagerlöff ? Et comment tout ça va se finir ?

4/5 pour cette histoire toute en images, à la fois drôle et inquiétante, écrite avec beaucoup d'inventivité. Et un grand merci à la Grenouille de l'étang pour me la faire découvrir !
Tiens, c'est normal que le pain acheté ce matin est déjà aussi sec, ou alors...
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C'est sur les très bons conseils de Verdorie (que je remercie évidemment pour son agréable envoi) que je me suis attaqué à L'oeil du purgatoire de Jacques Spitz. C'est en complet novice de cet auteur comme de son oeuvre que j'attaquais ce court roman au titre énigmatique et mystérieux.

Le préfacier indique rapidement que cet auteur méconnu, qui apparaît malgré tout comme un des pères de la science-fiction surréaliste française (le dernier de cette lignée pourrait ainsi être Alain Damasio), a le talent de faire tenir en peu de mots une foule de sentiments, de situations et de sensations. Comment dire à quel point c'est vrai ?... L'oeil du purgatoire est une lente agonie solitaire fondée sur un principe de science-fiction très simple, que je me garderais bien de dévoiler ici car sa découverte est bien plus agréable au fil du roman.
Même s'il ne met pas en scène des personnages hauts en couleurs ou subissant des péripéties épiques, le désespoir monte, inexorablement, la solitude aussi, et on se demande jusqu'où Jacques Spitz va bien pouvoir pousser notre imagination, jusqu'où il va bien pouvoir nous emmener encore, surtout qu'il le fait avec une concision experte. Fortement inspiré par le surréalisme, l'auteur imprègne son roman d'une forte dose de pessimisme, ce qui correspond parfaitement à mon état d'esprit la plupart du temps. La montée d'adrénaline m'a tellement transporté, jusqu'aux frontières de la mort et de la non-éternité, que les derniers paragraphes ont été lus la boule au ventre (l'idée de mort, j'ai toujours trouvé ça intolérable, personnellement ; mon futur beau-papa sera d'accord, je crois…). Mais en tout cas, qu'est-ce que ce roman est bouleversant ! Tellement que, pour une fois, je me passerai de faire une vraie conclusion, mais plutôt un bilan en une phrase. le caractère irrémédiable de chaque chose en ce bas monde : un sujet bateau, semble-t-il, mais parfaitement traité par un Jacques Spitz surréaliste à souhait qu'il conviendrait de bien mieux mettre en valeur.

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Poldonski, un peintre sans génie, écrivain médiocre à ses heures, suicidaire, qui n'aime rien ni personne, pas même lui, fait une drôle de rencontre.
Errant rue de Rivoli, à la recherche de modèles hideux pour son projet de toile intitulé "La kermesse burlesque", il fait la connaissance de Christian Dagerlöff, petit homme sec au poil blanc et aux yeux clairs..
Ce dernier se présente comme un homme de génie, il est, en fait, garçon de laboratoire à l'Institut Pasteur et professe un étrange voyage dans la "causalité".
Quelques jours plus tard, ayant oublié sa rencontre et las de la vie, d'Armande sa maîtresse, de babar son meilleur ami, Poldonski décide dans un sombre accès neurasthénique d'en finir avec la vie.
Sujet à un violent mal de tête, il quémande à l'homme de laboratoire, surgi devant lui, une drogue qui lui permettrait d'en finir sans douleur. Ce dernier lui propose une compresse humide à appliquer très bas sur les yeux.
Le lendemain matin, Poldonski s'éveille comme d'un sale cauchemar, guéri de sa migraine, aimant soudain la vie et impatient de pouvoir s'y frotter.
Mais Dagerlöff s'est livré à une expérience sur les yeux du jeune peintre, qui, en affectant sa perception du monde, va le transporter dans un futur macabre et glauque....
C'est un récit très dur que nous propose Jacques Spitz avec le premier roman de ce recueil. La noirceur du propos, sa cruauté parfois accuse la condition humaine et sa dérisoire raison. Ce texte, s'il en est loin dans sa forme, se rapproche par son propos de "La guerre des mouches". La fragilité de la condition de l'orgueilleux humain y étant observée sans concession et sans optimisme.
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De Jacques Spitz, Les évadés de l'An4000 m'avait captivé par la vue acérée et quasi-prémonitoire d'un pionnier de la science-fiction française.
Cette fois-ci, c'est le futur des êtres et des choses qui s'installe et s'impose dans la vue d'un homme du présent!... Un artiste peintre raté et salement aigri, victime toute désignée d'un laborantin-apprenti sorcier. Cela va crescendo, et c'est de plus en plus moche, désespérant et inquiétant!
La progression du mal, bacille inoculé et avançant de plus en plus dans la vision prémonitoire, est phénoménale jusque dans l'après de l'après... derrière la putréfaction, la fin des os et...et quoi? Et qu'est-ce qui peut être pire que cette prescience qui isole Jean Poldonski, le coupe du présent dans lequel il continue à survivre de plus en plus difficilement? Peut-on encore mourir, après ce chemin d'horrible croix ? Et quelles sont ces formes blanches qui viennent, partout, vous visiter?
Jacques Spitz a brillamment poussé les feux du postulat de base d'un roman méconnu mais constamment réédité : Une vision soignée (à l'oeil, gag) sur le temps et notre passage dans cette quatrième dimension.
Un livre magistral et étonnant, à lire.
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Citations et extraits (44) Voir plus Ajouter une citation
Qu'est-ce que la causalité ? Le rapport qui unit la cause à l'effet. Il y a des nuages, il va pleuvoir. J'entre dans l'eau, je vais me noyer. La terre tourne autour du soleil, demain sera pareil à hier. Lien causal partout autour de moi. Le monde est causal. Pas de miracles. J'enferme le monde dans la vision causale que j'en prends. Mais ne croyez-vous pas que le monde, le vrai monde, s'en fout, lui, de la causalité ? La neige se soucie-t-elle de savoir qu'elle provient de l'eau congelée ? Et la vapeur serait bien étonnée si on lui parlait de son père l'eau. D'autant qu'elle pourrait prétendre l'inverse avec autant de raison. Ce monde pourrait avoir un autre aspect que l'aspect causal. On pourrait l'habiller de tout autre vêtement, en venir à le voir sous un nouveau complet veston, une houppelande, un justaucorps, une toge, que sais-je ? Ce serait précisément faire un voyage dans la causalité, une excursion dans la "chose en soi" comme disent les philosophes.
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La pensée que je vois ce que je n'aurais jamais dû voir ravive ma curiosité pour ma propre vision du monde. Je délaisse la photo qui ne peut rien m'apprendre de neuf (toujours les mêmes arbres, les mêmes maisons, les mêmes femmes...) pour revenir au témoignage de mes yeux. Je fais même entrer ce témoignage tel quel dans mes toiles et ne peins plus que des scènes entre squelettes. On dira que j'ai une imagination macabre. Je m'en moque. Il faut d'abord peindre ce que l'on voit... Et puis, ces personnages réduits à leurs os conviennent admirablement aux valeurs ambrées, patinées, opaques qu'ont pour moi les couleurs les plus claires à leur sortie même du tube. Je ne vois sur ma palette que bitume, noirs verdâtres, violets à reflets lie-de-vin, qui sont les couleurs mêmes de la décrépitude en harmonie avec mes nouveaux sujets, genre "Fêtes Galantes au Cimetière".
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Assis face à face, nous nous sommes d'abord dévisagés -si l'on peut dire- en silence. En pleine lumière, nous évaluions, d'un œil sévère encore qu'invisible, nos débris réciproques, comme deux femmes qui jugent de leur toilette.
Il avait non seulement perdu les fémurs mais son os iliaque pourri était percé des vers. Une moisissure verdâtre sourdait entre les vertèbres de sa colonne et, les sutures de son crâne ayant cédé, il avait l'air d'avoir pris pour tête la carapace hérissée de piquants d'un vieux crabe. Sur le sternum s'étalait une espèce de crachat noirâtre et rongeur. Son état de décomposition était beaucoup plus avancé que le mien.
- Vous auriez dû vous faire incinérer, c'eût été moins écœurant ! Fis-je pour rompre le silence.
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Et qu’est-ce donc qu’être artiste, poète, sinon échapper à l’aspect journalier du monde pour s’efforcer de prendre d’autres incidences sur la réalité ? À leur manière, les gens de votre espèce tentent un voyage dans la causalité. Ils veulent s’évader de la prison du monde familier, mais leurs forces les trahissent, ils y retombent. Ils ont rejoint la gare de départ, ils montent dans le chemin de fer du rêve, mais le train ne part pas, la fusée ne décolle pas, l’aventure rate… Ratée l’expérience artistique ! Ratée l’expérience poétique ! Ils n’ont pas trouvé la ligne de fuite, ils n’ont pas atteint la limite au-delà de laquelle ils échapperaient à la glu du monde. Ils chantent l’amour, les joies de la chair, la vie triomphante. Erreur radicale. Au lieu de se laisser aller à l’attrait du monde, il faudrait commencer par éprouver pour lui une solide répulsion.

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Scène hilarante : un convoi funèbre sur le chemin du cimetière Montparnasse. Le cheval du corbillard, le cocher, les veuves, les orphelins, tous étaient plus ou moins à l’état de squelettes. Seul le mort, enfermé dans sa boite en chêne massif restait impénétrable aux regards et faisait neuf, j’allais dire vivant. Comique, comique, ces os qui en remorquaient d’autres. Ils ne sentent donc pas, s’ils ne le voient pas, que tout revient au même ? … Je vais en faire une petite toile : l’Enterrement sur le boulevard, qui damera le pion au père Courbet et à son macchabée d’Ornans.

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