Il y a quelques mois, j'avais reçu, dans le cadre d'une Masse Critique, un livre d'
Agnès Grossmann intitulé "
Les blondes de l'histoire" qui peignait le portrait de femmes blondes de l'Histoire ayant eu un destin exceptionnel pour le meilleur et pour le pire; parmi ces portraits du pire, celui de Magda Goebbels m'avait tout particulièrement marquée par son côté glaçant, son manque total d'empathie, sa dureté et sa fin.
Lorsque j'ai découvert en librairie, "
Ces rêves qu'on piétine" , roman sur Magda Goebbels, l'horreur des camps et la transmission de la mémoire, je n'ai pas hésité à l'acheter et je m'en félicite.
Ce roman est historique car les faits évoqués sont réels, les personnages le sont aussi pour la plupart mais c'est un roman magistralement écrit, d'une magnifique écriture qui sait saisir l'horreur et l'émotion sans pathos mais avec justesse.
On retrouve Magda Goebbels au moment où le Reich s'effondre et où Hitler et ses plus fidèles lieutenants s'enferment dans le bunker où ils vont se suicider; on assiste aux dernières heures d'Hitler, d' Eva Braun qu'il a épousée quelques heures avant de mourir, Goebbels, Magda et leurs 6 enfants. Magda revoit sa vie, sa puissance, son influence sur Hitler qui la considérait comme la Première Dame du Reich et qu'elle accompagnait partout. Elle avait besoin d'être admirée, reconnue et son mariage avec Goebbels, boiteux, nain, taré, aux maîtresses innombrables a servi ses desseins.
Elle a tiré un trait volontiarement sur son beau-père, Richard Friedländer, qui l'a élevée et aimée comme sa fille et son premier et unique grand amour, Viktor. Ils avaient le tort d'être juifs tous les deux et elle avait tellement embrassé la haine des juifs prônée par Hitler qu'elle se sentait souillée d'avoir été à leur contact; elle a laissé son beau-père mourir dans un camp et n'a pas bougé lorsque Goebbels a envoyé ses sbires assassiner Viktor qui était devenu un haut responsable de la communauté juive. Pas une once de regret, à l'heure de mourir, elle assume sa vie et ses choix. Sa dernière décision, c'est d'empoisonner ses 6 enfants avant de se suicider et cette horreur, paradoxalement, pourrait être éventuellement interprétée comme un geste d'amour; elle n'a pas voulu les laisser aux mains des Russes qui auraient pu leur faire subir un terrible sort, elle n'a pas voulu qu'ils vivent dans un monde qui les aurait rejetés, qui leur aurait fait payer les fautes de leurs parents. Ce geste est tellement horrible, impensable, qu'il faut lui trouver une explication.
Ce qui fait la force émotionnelle de ce roman, c'est que parallèlement aux dernières heures de Magda, on suit le sort de juifs, évacués des camps par les Allemands avant l'arrivée des Américains afin de laisser le moins de traces et de témoins possibles et on suit le trajet des lettres que Richard Friedländer a écrites à sa fille adoptive, lettres qui vont passer de mains en mains, chaque nouvelle main témoignant de l'horreur vécue avant de disparaître, jusqu'à la petite Ava, rescapée des dernières tueries, recueillie par une journaliste américaine qui va se faire un devoir d'être le porte-parole de tous ces morts, qui va les faire vivre en racontant.
Beauté du style, force de l'écriture, émotion pure, ce premier roman est un vrai chef-d'oeuvre et j'espère que Sébastien Spitze ne s'arrêtera pas là et nous fera encore vibrer avec un prochain roman.