L'Hôtel de verre
Émily St. John Mandel
Tr. de l'anglais (Canada) par
Gérard de Chergé
Rivages noirs
L'hôtel Caiette est un palais de cèdre et de verre entouré d'arbres, sur le bord d'un fjord, à proximité de Vancouver. On n'y accède que par bateau. Ses clients y viennent pour être au milieu de la nature sauvage qu'ils contemplent derrière des vitres, baignés dans une atmosphère de luxe où les portables n'ont pas de réseau, hors du temps et de l'espace.
Walter a quitté Toronto et sa vie répétitive pour y devenir manager de nuit. Alors que le propriétaire de l'hôtel, Jonathan Alkaitis, est attendu, apparaît sur une baie vitrée un message menaçant gravé au feutre à l'acide : "Et si vous avaliez du verre Brisé ?" Qui l'a écrit ? À qui est-il destiné ? Comment Walter va-t-il gérer cela ? Vincent, la barmaid, soupçonne son frère Paul, embauché comme agent d'entretien. Mais cela n'a aucun sens car tous deux sont originaires de la péninsule et sans rapport avec le monde de l'argent.
À partir de l'histoire de Bernard Madoff, homme d'affaire ayant utilisé le système pyramidal de Ponzi pour monter une des plus spectaculaires escroqueries du siècle, Émily St. John Mandel élabore un roman à la construction brillante où Vincent, la protagoniste principale, va devenir la compagne de l'escroc Jonathan Altaikis et lui servir de femme trophée pendant trois ans, jusqu'à son arrestation. Dans quelle mesure est-elle consciente de ce qui se passe ? Dans quelle mesure est-elle complice ?
De nombreux allers et retours entre différentes périodes et lieux de l'histoire vont nous présenter un grand nombre de personnages ayant gravité autour de Jonathan. Des investisseurs devenus proches, des collaborateurs trempant dans l'arnaque et d'autres pas.
Que devient Vincent après cette affaire ? Retourne-t-elle à Caiette ? Non. Elle décide de s'embarquer comme cuisinière sur un navire marchand, y rencontre Geoffrey Bell, le troisième lieutenant, semble avoir enfin trouvé sa voie, jusqu'au jour où elle disparait, en pleine mer.
J'ai lu et chroniqué "
Station Eleven" puis "
La Mer de la tranquillité" et il m'est apparu qu'il me manquait des éléments pour apprécier pleinement ce dernier roman où l'on retrouve des personnages de "
L'Hôtel de verre". Vincent notamment, en creux.
J'ai particulièrement aimé les passages ou Walter devient l'unique gardien de l'hôtel Caiette dont la baie vitrée portant le graffiti a été remplacée, sans pour autant effacer l'impact de la phrase assassine dont on découvrira plus tard l'origine, et où ne subsistent que des fantômes passagers. Les mêmes fantômes qui visitent Jonathan dans sa prison au fur et à mesure que meurent ses victimes.
De nombreux livres ont été écrits autour de cette affaire et une série Netflix vient de voir le jour cette année : "Madoff, monstre de la finance". Quoi qu'il en soit, parmi les trois romans d'Émily St. John Mandel que j'ai lus, "
L'Hôtel de verre" est mon préféré. Tout en intelligence et subtilité, il me laisse une impression à la fois fluide et aérienne teintée de vert par la métaphore de l'hôtel Caiette, particulièrement bien choisie pour illustrer le danger d'effondrement. CB
Chronique parue dans Gandahar 38 le Bouquet en décembre 2023