Citations sur Le petit Didier (13)
Finalement, je suis spectateur de tout ce qui m’arrive. Spectateur de ma vie. Parfois, on subit. Et il y a plusieurs façons de subir. J’ai l’impression d’avoir un soleil dans le ventre, mais il ne peut sortir.
Car il m'arrive de rester dîner, même si je redîne chez moi ensuite. A table, David raconte sa journée, et tout le monde s'en fout, mais c'est sympa. Moi, je regarde surtout madame Abecassis : elle est grande, et je la trouve très belle. Classe. Il me semble qu'elle et lui sont mal assortis. Je l'appelle Madame, même si plusieurs fois elle me propose de l'appeler par son prénom. J'aurais l'impression de casser une tasse en porcelaine. Peut-être que j'aurais même l'impression de tout gâcher. Madame Abecassis, c'est la garantie inconsciente que quelque chose de cet ordre existe et est possible, et que je peux en être. Une maman à la maison, beaucoup de douceur et de délicatesse. J'oublie dans la tour bleue les daronnes qui traînent leurs savates dans notre cage d'escalier.
Chez les Abecassis, c'est comme une zone tampon : je n'ai pas le sentiment d'être dans la cité, ni chez moi. Ce que j'emmagasine là-bas n'a pas de prix.
Je n'affronte pas mon père, je ne le ferai jamais. A aucun moment je ne me dresse contre lui" "Jamais je n'ai eu envie de lui sauter à la gorge directement", "Déjà parce que quelque chose en moi m'en empêche. Ensuite parce que j'aime ce type, je n'ai que lui."
Dans la cité, autant les gosses peuvent être solidaires, peuvent faire preuve de compassion, autant ça peut être des enculés aussi.
Au registre des blagues, une autre me semble avoir duré une bonne dizaine d'années. Dans l'immeuble de Yazid habite un asiatique qui s'appelle Lao. Notre tour consistait à aller dans la cabine téléphonique, a mettre une pièce, et à faire le numéro de ce Monsieur. On ne s'en lasse jamais.
"Allô Lao, on est en bas!'
Et on raccroche.
Chaque fois que l'on a rien à faire, il y en a un pour dire "Allez venez, on appelle Lao"
Et c'est reparti.
"Allô Lao ?... On est en bas.
Bande d'enculés!"
C'était bien résumé.
Toute la vie de la cité, je la vois de chez moi. C’est stratégique. Je suis au courant de tout ce qui se passe. Sans compter que, de la fenêtre, dès que je vois passer quelqu’un, quelque chose, je m’imagine des histoires. J’ai envi de vivre, le monde est vaste, et je veux en être.
Quand je me lève, le dimanche matin, je trouve une tenue déjà prête - car tu ne sors pas dans n’importe quelle tenue dans la rue avec ton père ! C’est une drôle d’élégance, qui voudrait me faire ressembler à lui, comme s’il me déguisait en lui, mais un cran au-dessous, bas de gamme.
Mon père, lui, veut la paix. Il veut vivre sa vraie vie, et ne plus être le second rôle de sa vie. Sa vraie vie, c'est sans moi. C'est Jean et pas Papa.
Je comprends.
De la maison, je vois tout. Dès qu’il y a une embrouille, je la vois. Toute la vie de la cité, je la vois de chez moi. C’est stratégique. Je suis au courant de tout ce qui se passe. Sans compter que, de la fenêtre, dès que je vois passer quelqu’un, quelque chose, je m’imagine des histoires. J’ai envie de vivre, le monde est vaste, et je veux en être.
J’ai des lacunes. Je ne suis pas suffisamment apaisé pour apprendre des choses. Il faut être un peu au calme, pour apprendre. Or mon père et moi entretenons une relation qui n’est pas calme. Quand il s’approche de moi, j’ai souvent un mouvement de recul. Comment lui demanderais-je de l’aide, de m’apprendre ?