Une vie entre deux océans

Je peux laisser ruiner mon passé, consacrer mon temps à haïr les gens pour ce qu'ils m'ont fait ou je peux pardonner et oublier. C'est tellement moins fatiguant. Il suffit de pardonner une fois, tandis que la rancune il faut l'entretenir à longueur de journée et recommencer tous les jours. Il faudrait que je fasse une liste pour m'assurer que je hais bien tous ceux qui m'ont causé du tort. On a tous la possibilité de pardonner.

L'histoire c'est ce sur quoi on se met d'accord. C'est ainsi que la vie continue.

Les familles se rassemblent, au complet et en sécurité, comme à la fin de chaque journée. Et l'obscurité s'infiltre dans le ciel seconde après seconde, jusqu'au moment où les ombres ne tombent plus mais s'élèvent du sol pour remplir l'air. Les êtres humains se retirent dans leurs maisons et abandonnent la nuit aux créatures qui la peuplaient : criquets, chouettes, serpents. Un monde qui n'a pas changé depuis des centaines de millions d'années s'éveille et s'active, comme si la lumière du jour, les humains et les évolutions du paysage avaient été une illusion. Plus personne ne marche dans les rues.

Une fois qu'un enfant était entré dans votre coeur, il n'y avait plus de bien ou de mal qui tînt. Elle avait vu des femmes donner naissance à des enfants engendrés par des maris qu'elles détestaient, ou, pire encore, des hommes qui les avaient violées; et les femmes avaient aimé ces enfants d'un amour farouche, tout en haissant les géniteurs. Il n'y avait pas moyen de se défendre de l'amour qu'on portait à un enfant, Violet ne le savait que trop bien.

Les mugissements tristes du vent n'avaient pas faibli.Le soleil de la fin d'après-midi continuait à pénétrer dans la pièce,déposant une couverture d'or brillant sur la femme et son enfant prématuré.La vieille pendule accrochée au mur de la cuisine persistait à égrener ses minutes avec une ponctualité maniaque.Une vie était apparue puis avait disparue et la nature n'avait pas marqué la moindre seconde de pause pour elle.

Parfois, on est du côté des chanceux. Parfois, c'est le pauvre diable en face qui tire la paille la plus courte, et on n'a plus qu'à se taire et faire avec.

Les enfants qui avaient survécu s'étaient peu à peu habitués à la nouvelle manière de dresser la table, avec un couvert en moins tout comme ils s'accoutumaient à se serrer comme des sardines sur le banc quand leur arrivait un petit frère ou une petite soeur. De même que dans les champs de blé où l'on sème bien plus de grain que ce qui peut arriver à maturité, Dieu semblait éparpiller des enfants excédentaires, pour les récolter selon un calendrier impénétrable.

Bien sûr, la perte d'enfants avait toujours été dans l'ordre naturel des choses. Rien n'avait jamais garanti que la conception aboutirait à la naissance d'un enfant vivant, ni que la naissance engendrerait une vie d'une longévité décente. La nature n'autorisait que les forts et les chanceux à profiter de ce paradis.

Les océans n'ont pas de limites. Ils ne connaissent ni début ni fin. Le vent ne s'arrête jamais. Il lui arrive de disparaître, mais uniquement pour reprendre des forces ailleurs, et il revient se jeter contre l'île...

On ne peut jamais vraiment parler de l’avenir, si vous y pensez sérieusement. On ne peut parler que de ce que l’on imagine, ou de ce que l’on souhaite. Ce n’est pas la même chose.