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Critique de grm-uzik


A 10 ans, Thomas Bishop a assassiné sa mère en la poussant dans son poêle à bois, après avoir enduré des années de mauvais traitements, d'humiliations diverses et de coups de fouets.
Interné depuis en hôpital psychiatrique, il décide de se faire la belle. Pas juste pour aller au grand air, non, ni voir du pays.
Pour débuter un voyage inédit : une course folle à travers les États-Unis, semant la mort sur son passage, assassinant à tour de bras des femmes croisées au hasard, cherchant l'absolution dans la réalisation d'un plan auquel seul un malade mental pouvait penser : faire payer toutes les femmes de la planète pour ce que lui a fait subir sa mère. Avec à ses trousses la police, la presse (et plus particulièrement le journaliste Adam Kenton), la mafia, et tant d'autres...
Qui saura mettre un terme aux agissements de Thomas Bishop et arrêter l'hécatombe qui terrifie le pays tout entier ? Quelqu'un en est-il même capable ?

L'énorme bandeau rouge portant la recommandation du Maître Stephen King ne fait pas de ce roman, un livre grand public, loin de là. il faut plutôt prendre en considération la recommandation du bien plus sombre James Ellroy comme argent comptant : on n'est pas là pour rigoler, et pour être noir, "Au-delà du mal" est sacrément noir.
L'histoire, pour commencer. Celle d'un serial-killer, certes, thème mille fois rebattu depuis au travers de dizaines, voire de centaines d'ouvrages, mais qui, pour poser le livre comme fondateur du genre, sait être dense, intense, tordue parfois. Dans tous les cas, preuve d'un énorme travail de la part de l'auteur. Même si certains enchainements peuvent parfois paraître un peu simples, les divers rebondissements et ressorts dramatiques fonctionnent comme un charme, et c'est un pur plaisir que de parcourir les quasiment 900 pages.

Non content de proposer une histoire purement addictive incitant le lecteur à dévorer les lignes à vitesse grand V, ce roman offre surtout un style franchement agréable. Ce qui choque certainement le plus (outre l'esprit tordu que devait avoir Shane Stevens pour pondre une telle histoire, jusque dans ses détails), c'est la froideur du style, et le détachement dont fait preuve l'auteur, rendant certains passages vraiment cliniques, dans le sens où l'aspect glacial et purement descriptif avec lequel sont racontées les horreurs commises par Thomas Bishop semble dénué de toute émotion en provenance de l'auteur. Une curiosité qui m'a particulièrement plu, dans la mesure où le manichéisme n'est absolument pas de mise dans ce roman.
La mise en place de l'histoire, sans être longue pour autant, permet à l'auteur de poser les bases de son histoire à l'aide d'un nombre infini de détails permettant de faire connaissance de manière très poussée avec les différents protagonistes de l'histoire. Pour le coup, les personnages ne sont pas seulement esquissés dans ce roman, ils sont véritablement façonnés, presque palpables. Une façon de faire que je rapprocherais de celle de Stephen King qui lui aussi sait créer des personnages et des univers plus vrais que nature, en sachant s'attarder sur l'insignifiant afin de matérialiser ses histoires et ses personnages.

L'ouvrage n'est pas qu'une simple plongée dans la folie d'un meurtrier, même s'il reste bien entendu le centre de l'histoire. Shane Stevens intègre à son chef-d'oeuvre une multitude d'autres intervenants : journalistes, politiciens, membres de la pègre. Autant de rôles additionnels qui permettent, en plus d'étoffer une intrigue déjà solide, de dresser un portrait de la société américaine des années 70. le trait le plus marquant sur cette retranscription d'une époque est sans doute l'important donnée au personnage de Caryl Chessman, condamné à la peine capitale sans preuve formelle. Cet axe permet à l'auteur, en plus de dépeindre la situation à l'époque de l'écriture du roman, d'engager une réflexion sur le bien fond ou non d'un tel châtiment et sur les diverses forces en présence dans le débat (pro et anti, tous enracinés à leurs certitudes, servant des arguments parfois fallacieux pour illustrer leur point de vue).
Gros point positif de ce roman, sans doute imputable au style fluide et au synopsis solide, la multitude de personnages ne perd jamais le lecteur, quel que soit le niveau d'avancement dans le livre. Comme je l'ai mentionné plus haut, chaque personnage est suffisamment bien construit pour qu'on l'identifie sans problème et que l'on reprenne son point de vue dès qu'il devient l'élément central d'un chapitre.

Ce qu'il faut tout de même retenir et mettre en avant concernant "Au-delà du mal", c'est l'horreur absolue qu'il délivre lorsqu'on est aux côtés de son personnage principal, Thomas Bishop, un serial-killer comme on en a rarement vu. A se demander, même, comment un auteur peut être capable d'écrire de telles choses sans être lui-même sérieusement atteint. A travers sa traversée des États-Unis, Thomas Bishop va laisser derrière lui des dizaines de cadavres, portant la marque d'une violence, d'une sauvagerie inouïes, pour laquelle aucun détail ne sera épargné au lecteur. C'est d'ailleurs au tout début du voyage de Bishop à travers l'Amérique que les scènes de meurtre sont les plus explicitement détaillées, afin que le lecteur prenne bien conscience du type de monstre qu'il a sous les yeux. Par la suite, il en devient presque banal de voir que chaque nouveau meurtre en empreint d'encore plus de démence et de violence.
Le pire, dans l'histoire, c'est qu'on ne parvient pas à détester Thomas Bishop, en dépit des choses insoutenables qu'il est capable de faire et de son évidente inhumanité. C'est bien dans ce point que réside le côté anti-manichéen de l'histoire : chaque personnage a sa part d'ombre, c'est un fait, mais Thomas Bishop, peut-être encore plus que les autres, oblige à une certaine forme d'admiration. pas pour ce qu'il fait, bien entendu, pas pour cette folie meurtrière qui l'habite, mais pour l'intelligence hors norme dont il fait preuve tout au long du livre. Car bien que malade mental ayant passé sa vie interné, Bishop est un génie : de l'évasion, de la dissimulation, du mensonge, de la débrouille, de l'invention et du détournement. Bref, un génie qui excelle dans mille domaines, ce qui conditionne bien entendu le statut hors norme qu'il acquiert durant les quelque dix années au cours desquels il sévit.
Et surtout, la question de ses limites ne cesse de hanter le lecteur tout au long du livre : comment imaginer qu'il est possible de faire encore pire que ce qui vient d'arriver ? Est-ce même possible ? Comment même, tout simplement, concevoir d'en arriver là, au tout début du voyage sanguinaire de Bishop. En tout cas, Shane Stevens sait ménager son petit effet et y aller crescendo, sans bridage, sans limite et sans censure, un peu à l'image du personnage qu'il a créé.

Thomas Bishop est sans conteste l'incarnation du mal absolu, un être incroyable et terrifiant, un personnage aux multiples facettes, à l'intelligence hors norme, mais surtout à la dangerosité sans limite. La seule limite, peut-être : celle de sa folie, prête à le conduire à sa perte.
Il y avait bien longtemps que je n'avais pas pris autant de plaisir à lire un roman, bien qu'ayant été un peu intimidé par le pavé de 900 pages qu'"Au-delà du mal" représente.
Car tous les ingrédients d'un très bon polar sont réunis : une histoire extrêmement bien pensée, un style qui rend la lecture fluide et très agréable, des personnages charismatiques, attachants aussi bien que repoussants. le tout agrémenté de multiples rebondissements, fausses pistes et coups de Trafalgar.
Il m'est même arrivé de penser à plusieurs reprises que pour être aussi méticuleux, aussi précis et surtout aussi dingue pour imaginer une telle histoire, peut-être y avait-il une part d'autobiographie dans ce roman.
Quoi qu'il en soit, après m'être autant régalé, je ne peux que vous conseiller la lecture de ce brillant bijou. Je le recommande vivement et sans aucune hésitation aux amateurs de polars. Âmes sensibles s''abstenir.
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