On veut tous un public. À quoi bon faire quelque chose si personne ne le sait? Après tout, un arbre qui tombe ne fait de bruit que s’il y a quelqu’un pour l’entendre.
Les gens peuvent se révéler surprenants. Pas seulement par leur gentillesse, mais aussi par leur capacité soudaine à exprimer les choses de la bonne façon.
Il lui semblait que plus il vieillissait - et Dieu sait qu'il avait vieilli - plus il comprenait que la lutte étrange entre le Bien et le Mal lui était incompréhensible, qu'après tout les gens sur cette terre n'étaient peut-être pas censés comprendre les choses.
Dans son livre, Lucy Barton expliquait que les gens cherchent toujours à se sentir supérieurs aux autres, et Patty constata que c'était bien vrai.
Ce qui intriguait le plus Abel dans la vie, c'était à quel point on oubliait les choses tout en continuant de vivre avec -comme des mauvais membres fantômes, songeait-il.
La joie s’était répandue autour d’elle et, dans son souvenir, il en avait été ainsi pendant des années. Le retour à pied à la maison, le trajet sur la route, sa main dans la main de son père, le spectacle apaisant des champs qui scintillent, les arbres qui s’assombrissent, prennent une teinte vert-bleu, le soleil laiteux couleur de neige.
Shelly Small n’avala guère plus qu’une gorgée de thé. Sa tasse n’était qu’un accessoire, pour utiliser un terme de théâtre, un élément du décor pour ainsi dire, un prétexte pour passer un moment chez Dottie par cette journée d’automne pendant que la lumière balayait la pièce. Cette tasse de thé, comprit Dottie, lui donnait la permission de parler.
Seul dans la chambre avec le silence, il comprit l’origine du précédent hiatus – ce sentiment de vaste calme –, cela venait de lui revenir en mémoire. Il lui avait trouvé un nom, il y a bien longtemps de cela : la théorie du coup sur le pouce. Enfant, un été, il se trouvait sur le toit de la maison de son grand-père pour remplacer des tuiles. Il frappait avec un marteau et il avait découvert que, quand il se tapait sur le pouce par maladresse, il songeait pendant une fraction de seconde : « Eh, ça ne fait pas si mal que ça, malgré la force… » Ensuite, après cet instant de quiétude, de surprise et de gratitude trompeuses, la vraie douleur le foudroyait.
Brusquement, il éprouva ce mal du pays de l’enfant envoyé en vacances chez des parents, quand le mobilier paraît trop grand, trop sombre, l’odeur bizarre, et chaque détail porteur d’une étrangeté agressive, presque insoutenable. « Je veux retourner chez moi », pensa-t-il.
Cet amour pour la personne avec qui on partage sa vie, c’est la peau qui nous protège du monde.