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Citations sur Le Juif errant (7)


M. Hardy occupait, on l’a dit, un pavillon dans la maison de retraite annexée à la demeure occupée rue de Vaugirard par bon nombre de révérends pères de la compagnie de Jésus. Rien de plus calme, de plus silencieux que cette demeure ; on y parlait toujours à voix basse, les serviteurs eux-mêmes avaient quelque chose de mielleux dans leurs paroles, de béat dans leur démarche.

Ainsi que dans tout ce qui, de près ou de loin, subit l’action compressive et annihilante de ces hommes, l’animation, la vie, manquaient dans cette maison d’une tranquillité morne. Ses pensionnaires y menaient une existence d’une monotonie pesante, d’une régularité glaciale, coupée çà et là pour quelques-uns par des pratiques dévotieuses ; aussi, bientôt, et selon les prévisions intéressées des révérends pères, l’esprit, sans aliment, sans commerce extérieur, sans excitation, s’alanguissait dans la solitude ; les battements du cœur semblaient se ralentir, l’âme s’engourdissait, le moral s’affaiblissait peu à peu ; enfin tout libre arbitre, toute volonté s’éteignait, et les pensionnaires, soumis aux mêmes procédés de complet anéantissement que les novices de la compagnie, devenaient aussi des cadavres entre les mains des congréganistes.

De ces manœuvres, le but était clair et simple ; elles assuraient le bon succès des captations de toutes natures, terme incessant de la politique et de l’impitoyable cupidité de ces prêtres ; au moyen des sommes énormes dont ils devenaient ainsi maîtres ou détenteurs, ils poursuivaient et assuraient la réussite de leurs projets, dussent le meurtre, l’incendie, la révolte, enfin toutes les horreurs de la guerre civile, excitée et soudoyée par eux, ensanglanter les pays dont ils convoitaient le ténébreux gouvernement.

Comme levier, l’argent acquis par tous les moyens possibles, des plus honteux aux plus criminels ; comme but, la domination despotique des intelligences et des consciences, afin de les exploiter fructueusement au profit de la compagnie de Jésus : tels ont été et tels seront toujours les moyens et les fins de ces religieux.

Ainsi, entre autres moyens de faire affluer l’argent dans leurs caisses toujours béantes, les révérends pères avaient fondé la maison de retraite où se trouvait alors M. Hardy.

Les personnes à esprit malade, au cœur brisé, à l’intelligence affaiblie, égarées par une fausse dévotion, et trompées d’ailleurs par les recommandations des membres les plus influents du parti prêtre, étaient attirées, choyées, puis insensiblement isolées, séquestrées, et finalement dépouillées dans ce religieux repaire, le tout le plus benoîtement du monde, et ad majorem Dei gloriam, selon la devise de l’honorable société.

En argot jésuitique, ainsi qu’on peut le voir dans d’hypocrites prospectus destinés aux bonnes gens, dupes de ces piperies, ces pieux coupe-gorge s’appellent généralement :

« De saints asiles ouverts aux âmes fatiguées des vains bruissements du monde. »

Ou bien encore ils s’intitulent :

« De calmes retraites où le fidèle, heureusement délivré des attachements périssables d’ici-bas et des liens terrestres de la famille, peut enfin, seul à seul avec Dieu, travailler efficacement à son salut, » etc.

Ceci posé, et malheureusement prouvé par mille exemples de captations indignes, opérées dans un grand nombre de maisons religieuses, au préjudice de la famille de plusieurs pensionnaires ; ceci, disons-nous, posé, admis, prouvé… qu’un esprit droit vienne reprocher à l’État de ne pas surveiller suffisamment ces endroits hasardeux, il faut entendre les cris du parti prêtre, les invocations à la liberté individuelle… les désolations, les lamentations, à propos de la tyrannie qui veut opprimer les consciences.

À ceci ne pourrait-on pas répondre que, ces singulières prétentions accueillies comme légitimes, les teneurs de biribi et de roulette auraient aussi le droit d’invoquer la liberté individuelle, et d’appeler des décisions qui ont fermé leurs tripots ? Après tout, on a aussi attenté à la liberté des joueurs qui venaient librement, allègrement, engloutir leur patrimoine dans ces repaires ; on a tyrannisé leur conscience, qui leur permettait de perdre sur une carte les dernières ressources de leur famille.

Oui, nous le demandons positivement, sincèrement, sérieusement : quelle différence y a-t-il entre un homme qui ruine ou qui dépouille les siens à force de jouer rouge ou noir, et l’homme, qui ruine et dépouille les siens dans l’espoir douteux d’être heureux ponte à ce jeu d’enfer ou de paradis, que certains prêtres ont eu la sacrilège audace d’imaginer afin de s’en faire les croupiers ?

Rien n’est plus opposé au véritable et divin esprit du christianisme que ces spoliations effrontées ; c’est le repentir des fautes, c’est la pratique de toutes les vertus, c’est le dévouement à qui souffre, c’est l’amour du prochain qui méritent le ciel, et non pas une somme d’argent, plus ou moins forte, engagée comme enjeu dans l’espoir de gagner le paradis, et subtilisée par de faux prêtres qui font sauter la coupe et qui exploitent les faibles d’esprit à l’aide de prestidigitations infiniment lucratives.

Tel était donc l’asile de paix et d’innocence où se trouvait M. Hardy.
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Parmi les autres révérends pères qui se promenaient aussi dans le jardin, on apercevait çà et là plusieurs laïques, et voici pourquoi :

Les révérends pères possédaient une maison voisine, séparée seulement de la leur par une charmille ; dans cette maison, bon nombre de dévots venaient, à certaines époques, se mettre en pension afin de faire ce qu’ils appellent dans leur jargon des retraites.

C’était charmant ; on trouvait ainsi réunis l’agrément d’une succulent cuisine et l’agrément d’une charmante petite chapelle, nouvelle et heureuse combinaison du confessionnal et du logement garni, de la table d’hôte et du sermon.

Précieuse imagination que cette sainte hôtellerie où les aliments corporels et spirituels étaient aussi appétissants que délicatement choisis et servis, où l’on se restaurait l’âme et le corps à tant par tête, où l’on pouvait faire gras le vendredi en toute sécurité de conscience moyennant une dispense de Rome, pieusement portée sur la carte à payer, immédiatement après le café et l’eau-de-vie. Aussi disons-le à la louange de la profonde habileté financière des révérends pères et à leur insinuante dextérité, la pratique abondait.

Et comment n’aurait-elle pas abondé ? le gibier était faisandé avec tant d’à-propos, la route du paradis si facile, la marée si fraîche, la rude voie du salut si bien déblayée d’épines et si gentiment sablée de sable couleur de rose, les primeurs si abondantes, les pénitences si légères, sans compter les excellents saucissons d’Italie et les indulgences du saint-père qui arrivaient directement de Rome, et de première main, et de premier choix, s’il vous plaît.

Quelles tables d’hôte auraient pu affronter une telle concurrence ? On trouvait dans cette calme, grasse et opulente retraite tant d’accommodements avec le ciel ! Pour bon nombre de gens à la fois riches et dévots, craintifs et douillets, qui, tout en ayant une peur atroce des cornes du diable, ne peuvent renoncer à une foule de péchés mignons fort délectables, la direction complaisante et la morale élastique des révérends pères était inappréciable.

En effet, quelle profonde reconnaissance un vieillard corrompu, personnel et poltron ne devait-il pas avoir pour ces prêtres qui l’assuraient contre les coups de fourche de Belzébuth, et lui garantissaient les béatitudes éternelles, le tout sans lui demander le sacrifice d’un seul des goûts vicieux, des appétits dépravés, ou des sentiments de hideux égoïsme dont il s’était fait une si douce habitude ! Aussi comment récompenser ces confesseurs si gaillardement indulgents, ces guides spirituels d’une complaisance si égrillarde ? Hélas ! mon Dieu, cela se paye tout benoîtement par l’abandon futur de beaux et bons immeubles, de brillants écus bien trébuchants, le tout au détriment des héritiers du sang, souvent pauvres, honnêtes, laborieux, et ainsi pieusement dépouillés par les révérends pères.
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Quoique depuis longtemps domptés par l’adresse et par l’énergie du Prophète, son tigre Caïn, son lion Judas et sa panthère noire la Mort avaient voulu, dans quelques accès de révolte, essayer sur lui leurs dents et leurs ongles ; mais, grâce à l’armure cachée par sa pelisse, ils avaient émoussé leurs ongles sur un épiderme d’acier, ébréché leurs dents sur des bras et des jambes de fer, tandis qu’un léger coup de badine métallique de leur maître faisait fumer et grésiller leur peau, en la sillonnant d’une brûlure profonde. Reconnaissant l’inutilité de leurs morsures, ces animaux, doués d’une grande mémoire, comprirent que désormais ils essayeraient en vain leurs griffes et leurs mâchoires sur un être invulnérable. Leur soumission craintive s’augmenta tellement, que, dans ses exercices publics, leur maître, au moindre mouvement d’une petite baguette recouverte de papier de couleur de feu, les faisait ramper et se coucher épouvantés.
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Et quoique ce ressentiment fût aussi rapide qu’ineffable, elle joignit les mains et leva les yeux au ciel avec une expression de fervente reconnaissance ; car si l’ouvrière ne pratiquait pas, pour nous servir de l’argot ultramontain, personne plus qu’elle n’était doué de ce sentiment profondément, sincèrement religieux, qui est au dogme ce que l’immensité des cieux étoilés est au profond d’une église.
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On s’était rudement battu tout le jour sans avantage décisif… Le soir, la compagnie dont notre homme faisait partie avait été envoyée en grand’garde pour occuper les ruines d’un village abandonné ; les vedettes posées, une moitié des cavaliers resta à cheval, et l’autre put prendre quelque repos en mettant ses chevaux au piquet.
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Que d'impérieuses raisons pour faire pénétrer l'instruction, les lumières dans les dernières profondeurs des masses.... et mettre aussi bien des malheureux à même de se défendre de tant de préjugés stupides, de tant de superstitions funestes, demander le calme, la réflexion, l'empire de soi-même, le sentiment de justice, à des êtres abandonnés, que l'ignorance abrutit, que la misère déprave, que les souffrances courroucent, et dont la société ne s'occupe que lorsqu'il s'agit de les enchaîner au bagne ou de les garrotter pour le bourreau !
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Baisser la tête, se jeter à genoux et en même temps lui plonger à deux reprises son poignard dans le ventre avec la rapidité de l’éclair, ce fut ainsi que Djalma échappa à une mort certaine ; la panthère rugit en retombant de tout son poids sur le prince… Pendant une seconde que dura sa terrible agonie, on ne vit qu’une masse confuse et convulsive de membres noirs, de vêtements blancs ensanglantés… puis enfin Djalma se releva pâle, sanglant, blessé ; alors, debout, l’œil étincelant d’un orgueil sauvage, le pied sur le cadavre de la panthère… tenant à la main le bouquet d’Adrienne, il jeta sur elle un regard qui disait son amour insensé. Alors seulement aussi Adrienne sentit ses forces l’abandonner, car un courage surhumain lui avait donné la puissance d’assister aux effroyables péripéties de cette lutte.
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