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Critique de LVI


Besoin d'amour !


En 1977 parait ‘Griffu', la première intromission de l'anar Tardi dans l'univers déjanté de l'agoraphobe et grand fumeur, mais surtout ancien militant d'extrême gauche JP Manchette (1942-1995) ; et ce n'est pas une adaptation, mais bien un scénario original que celui-ci a livré au rebelle Tardi, qui, longtemps après, reviendra aux déclinaisons policières de Manchette, en 2005 avec ‘Le petit bleu de la côte ouest', en 2010 avec ‘La position du tireur couché' et donc maintenant en 2011 avec ‘O dinguos, ô châteaux' (le titre est emprunté à Rimbaud : ‘O saisons, ô châteaux' des ‘Illuminations' : « Quelle âme est sans défauts ? »).


Le roman date de 1972 et a valu à l'époque le ‘Grand prix de la littérature policière' à son auteur.


En 92 pages en N&B, le libertaire Tardi adapte le gaucho Manchette et nous raconte l'histoire d'une délinquante juvénile, qui, après avoir passé cinq ans en HP, se voit proposée de devenir la nounou d'enfer du très jeune neveu d'un architecte raté devenu le tuteur du riche héritier et donc nouveau maître du blé et qui n'engage que des infirmes et des ‘tarés', sauf qu'un tueur fou secondé par deux nuisibles enlève aussitôt les deux perdreaux, qui réussissent toutefois assez rapidement à leur échapper, engageant ainsi une folle et meurtrière course-poursuite à travers les tristes paysages de ‘Navarre'…


Comme à chaque fois que le rebelle Tardi s'intéresse à l'oeuvre du démolisseur Manchette, le récit prend largement le pas sur le dessin, d'un classicisme décourageant (on se croirait revenu au temps de ‘Rumeurs sur le Rouergue'), qui fait de ces albums-là du dernier des Communards plus de strictes illustrations des romans de Manchette que de véritables oeuvres picturales signées Tardi : nous sommes loin en effet du ‘Démon des glaces' et de ses vignettes et planches dignes des gravures d'antan par exemple. Si donc vous avez juste envie de lire une adaptation dessinée de ce roman de Manchette, vous serez probablement aux nues ; mais si vous vous intéressez avant tout au génie de l'auteur engagé Tardi, tournez-vous plutôt vers ses adaptations de Léo Malet ou son feuilleton ‘Le cri du peuple' au travers desquelles il laisse une empreinte indélébile dans l'histoire du roman graphique français : Tardi lui-même s'est toujours plus intéressé à la création d'ambiance et donc aux décors (ce qui rend même les aventures d'Adèle Blanc-Sec, pourtant plus que tirées par les cheveux, plus ou moins intéressantes) plutôt qu'aux personnages : dessiner les rues d'une ville, ses ombres, le brouillard, les pavés luisants, les réverbères blafards, les petits bars miteux et décrépits, les lueurs d'hiver qui donnent un petit frisson, des pans d'immeubles avec de petites fenêtres qui laissent entrevoir une petite lumière, les édifices, les portails, les cimetières et les musées, mais aussi les tristes pavillons de banlieue, c'est ce qui fait la patte Tardi et qui n'existe en rien dans ses adaptations récentes de JPM (le ‘Griffu' d'autrefois étant une exception).


Mais comme toujours chez le révolutionnaire Tardi, le dessin est précis et le trait réaliste, l'histoire s'adressant autant à l'estomac qu'au cerveau. le désarroi est à l'honneur et le tout est totalement lugubre. En fait, cette histoire de plomb baladeur, d'héroïne brisée et de tueur qui a la rate qui se dilate, nous donnerait presque comme un léger picotement sous la langue, une envie de Deauville, de Bugatti et de satin. Alors si cette ballade au coeur du noir d'encre vous dit, n'hésitez pas, of course !
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