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Intense témoignage des camps de prisonniers de guerre en Allemagne.Vécu et Raconté par le père de Tardi, narrateur né, dessinateur également, mais militaire engagé....et enragé. Arrêté aux manoeuvres de son char d'assaut, "on ne dit pas tank", dés les premiers jours du conflit, il en voudra à la terre entière d'être emmené pire qu'un moins que rien dans le camp ennemi. Aigri contre toute sa hiérarchie, de l'armée, des fonctionnaires, de tout ce qui est censé représenté la société....Il prendra son fils à témoin, lui laissant le soin de nous relater sa vulgaire condition de vie dans ce Stalag IIB; Il ne nous épargnera rien, de sa faim, des coups, maladies, humiliations, l'enfer...surtout la faim !
On y apprend que c'est dans ce camp de la mort, que Papa Tardi a rencontré Maurice Druon, qu'ils deviendront amis à leurs libérations.
Ce livre, était destiné à Chloé, ma fille, élève de terminale, lecture préconisée par son professeur d'Histoire, manière efficace et percutante d'introduire la bande dessinée dans la pédagogie...Je n'ai pas su "résister", ma Reconnaissance à Tardi, à Chloé, à son prof pour ce témoignage humanitaire révélé au grand jour.
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Jacques Tardi donne la parole à son père René et lui prête sa plume pour illustrer le sort réservé aux soldats français par le III Reich.
Témoignage d'une grande force, René se livre sans retenue sur ces années noires, prisonnier dans un Stalag en Poméranie. Il montre la barbarie nazie, mais n'occulte pas aussi la lâcheté de certains détenus. René rêve de s'évader, supporte tant bien que mal sa captivité, la privation de nourriture lui tenaille les tripes, la colère, aussi. Colère contre l'armée française, contre le régime Vichyste, contre ces geôliers, contre certains de ces camarades. C'est peut-être elle qui l'empêche de lâcher prise ?
De plus, J. Tardi rajoute une idée brillantissime, faire partie intégrante du récit et du dessin. Les échanges entre le père et le fils, entre le témoin et le passeur donne une force supplémentaire à ce roman graphique. Passionnant, instructif, aux dialogues brillants (parfois amusants entre le père et le fils), formidablement mise en valeur par le trait singulier de Jacques Tardi, un premier tome tout simplement remarquable. A faire passer à nos jeunes générations, pour ne jamais oublier.
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J’ai lu ce premier volume de Moi, René Tardi, prisonnier de guerre - Stalag IIB comme un hommage du fils au père, mais pas seulement. J’y ai vu également une réconciliation, dans le sens où le fils redonne au père cet espace de parole et d’écoute qui a tant manqué et a sûrement nui à leur relation.

Qu’était René pour Jacques ? Un père militaire de carrière taciturne et colérique, dont il savait qu’il avait fait la seconde guerre mondiale (mal) et était resté prisonnier de guerre dés 1940 et jusqu’en 1945 (autant dire que pour beaucoup à l’époque, il n’a rien à dire ou raconter et n’est même pas un soldat, tout juste un « vaincu »).
Comme le dit Jacques : plus jeune, il n’était pas curieux de « savoir », de questionner son père sur cette partie de sa vie, qui explique, même si elle ne l’excuse pas, le père qu’il a été. C’était du « passé » et tout ce qu’il pouvait apprendre, ne lui aurait en rien rendu une image plus positive : « mon père, ce héros » n’avait pas lieu d’être cité, pour Jacques, ni en 40, ni durant les années de sa jeunesse.
En 1980, les choses vont changer. Le désir de savoir, de faire advenir ces presque 5 années vécues par son père en tant que Prisonnier de Guerre, va être plus fort. Jacques lui demande de consigner ses souvenirs. René s’applique et reprend son histoire de façon détaillée et pointilleuse.
Ce sont ses carnets qui donneront la matière de cet ouvrage. On sent la volonté de Jacques d’être fidèle aux propos de René, même s’il ne les partage pas toujours. Cette obsession des Tank (pardon ! « On dit pas tank, on dit char ! » Désolé...) et cette amertume de tout et de tous... Déjà !

Jacques est dans le récit, enfant, à côté de René. Le fils se fait l’écho de la narration du père. Mais pas que. Je l’ai perçu un peu comme si nous étions dans l’esprit d’un Jacques adulte, mais redevenu enfant, à l’écoute des maux du P. G. à travers les mots du père. Jacques adulte, reprenant sa place d’enfant, spectateur et acteur du récit : précisant, ici, un fait à la lumière de l’histoire, moquant gentiment, là, les propos de ce père, qui en voulait déjà, à la terre entière.

Ce projet se distingue des autres par le fait qu’il soit une réelle « entreprise » familiale : Jacques Tardi a travaillé en collaboration avec sa fille (mise en couleur) et son fils (recherche et documentation), sans oublier sa femme (préface). Entreprise de témoignage, de conservation et de réhabilitation qui a eu plus d’un écho auprès de nombreuses autres familles de France et de Navarre.
« Putain de guerre. Même nous, en souffrons encore aujourd'hui... » : Parole de fils de P.G. à la lecture de ce premier tome.

Il y a du René en Jacques quand celui-ci refuse en 2013 la légion d’honneur, arguant ne vouloir « rien recevoir, ni du pouvoir actuel, ni d’aucun autre pouvoir politique quel qu’il soit ».

Et ce pélican en bois qui traverse les âges et le temps, témoin silencieux et moqueur de la folie des hommes.
Jacques Tardi le croyait unique.
Il eût la surprise de découvrir, à travers des photos et des témoignages de lecteurs, bon nombre de ses congénères rapportés des camps de prisonniers, trônant sur un meuble ou exilés dans un grenier.
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Tardi vu par Tardi , magistral !

Quand Jacques décide de raconter René – le premier qui dit la taupe sera privé de larves pendant deux semaines - , son père , et ses implications personnelles et familiales durant la drôle de guerre , le résultat est à la hauteur des espérances bien légitimes d'un lecteur déjà friand de bon nombre de ses écrits en la matière...
Car oui , Jacques Tardi nourrit une régulière obsession pour la guerre qu'il a déjà dépeint à l'envi : le Trou d'Obus ; C'était la Guerre des Tranchées ; Putain de Guerre...
Outre un trait immédiatement identifiable , il faut lui reconnaître un réel travail de recherche sur un sujet qu'il tente certainement d'appréhender au mieux puisque pleinement concerné .

Tardi fait du Pagnol en dépeignant les affres d'une seconde guerre mondiale au travers les yeux de son paternel , véritable resucée militaire de la Gloire de mon Père .
Un album instructif et touchant scénarisant un René Tardi alors tankiste plein d'espoir appelé à devenir très rapidement hôte de luxe d'un Stalag II B déshumanisant . Et en 56 mois d'internement , votre vision de l'Homo Sapiens aurait tendance à en prendre un sacré coup !
Usant astucieusement d'une mise en abyme originale , le petit Tardi se fait présent dans chaque case ce qui lui permet , alors , de dialoguer avec son père et de rajouter , si besoin était , une petite touche d'émotion et d'humanité à un récit en manquant cruellement .
Tantôt poétique , drôle , voire dramatiquement émouvant , Tardi combine à la perfection sa petite histoire avec L Histoire et nous délivre un premier tome , basé sur les carnets d'époque de son père , pleinement abouti !
Attendrissant , passionnant et didactique , Tardi émeut et instruit .
N'est-ce pas là l'apanage des très grands ?

http://www.youtube.com/watch?v=_d8C4AIFgUg
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Le projet de cette bande dessinée découle d'un dialogue entre Jacques Tardi et son père René Tardi. René Tardi a été déporté au camp de concentration du Stalag II B pendant quatre ans alors qu'il traversait les années les plus vives de son existence, entre 20 et 25 ans, à un âge où l'on est en droit d'espérer de la vie des images plus gaies que celle d'une fosse à merde commune et d'appels interminables dans le froid, le ventre vide. Retrouvant une vie plus normale, René Tardi n'a pas cessé de se souvenir de ces années en les transcrivant dans des cahiers d'écolier. Jacques Tardi revient sur cette documentation massive, intarissable de détails, pour les mettre à la disposition de son lecteur dans un album de presque deux cent planches qui ne lésine pas, à son tour, sur la qualité informative.


On pourra évidemment saluer Jacques Tardi pour son travail documentaire salutaire, mais pas seulement car s'il fait oeuvre pédagogique de façon explicite, son album délivre aussi en filigrane des vérités qui échappent à la démonstration.


La première vérité –évidente pour ceux qui ont vécu l'expérience et pour leurs proches les plus immédiats- est celle de l'illégitimité du discours sur le camp de concentration lors de la libération des détenus. Les personnes qui sont nées à une époque qui avait déjà accepté et reconnu l'horreur de la vie dans les camps de concentration ne pensent pas qu'il ait pu y avoir un moment au cours duquel le droit à la parole était pratiquement refusé aux déportés. C'est pourtant une réalité qui a certainement dû contribuer à former le sentiment de culpabilité qui s'exprime encore avec vigueur :


" A son retour, Jean n'a pas pu prendre la parole, exprimer, rendre compte, raconter en détails les quatre sinistres années de privation de liberté. Pire, lorsqu'il lui arrivait de les évoquer, mon grand-père maternel, qui avait fait la Première Guerre mondiale, lui clouait le bec, raillant cette armée de vaincus de mai-juin 1940… « Ah, disait-il, voilà le « grand militaire » qui va nous raconter ses exploits ! ». Je me souviens qu'alors, mon père, plutôt que d'entrer en conflit avec cet ancien combattant médaillé - de surcroît son beau-père!-, avalait sans mot dire cette nouvelle humiliation et replongeait dans le silence. Sans doute comme des centaines de milliers d'autres qui, comme lui, n'avaient en effet ni exploit ni victoire magnifique à revendiquer, contrairement aux héros des tranchées..."


La deuxième vérité découle de la précédente : les déportés ont d'autant plus de mal à exprimer la cruauté des années vécues dans les camps de concentration à cause de l'infamie anodine des procédés mis en place. Rien d'éclatant ni de tonitruant, aucune mort causée directement, pas de sévices adressés à même la chair. La torture découle de la négligence, du mépris de l'être humain, de la hiérarchie injustifiée. Si l'on écoute les témoignages des déportés au sens littéral, on prendra connaissance des humiliations verbales, de la négligence vestimentaire et alimentaire, de l'insalubrité des lieux de vie, des tâches dégradantes à effectuer, de la violation de l'intimité et des rituels arbitraires. Les soldats de la génération précédente, ceux qui avaient combattu dans les tranchées, devaient légitimement avoir envie de déprécier ce genre de témoignage pour donner à nouveau droit de cité à leurs propres souffrances. Il fallait trouver une façon différente de s'exprimer pour que les déportés puissent faire comprendre que derrière ces menus vices quotidiens se cachait une menace beaucoup plus sombre, sournoise et destructrice. La faim qui rend fou, la saleté qui aliène, la hiérarchie qui corrompt, sont au-delà des mots.


Jacques Tardi offre la parole à son père qui témoigne pour tous les gens de sa génération ayant connu les camps de concentration, et il se fait le porte-parole des générations suivantes pour instaurer le dialogue du doute, de l'incompréhension qui doit se résoudre par une plus grande proximité. le ton du dialogue est juste, ne s'interdisant ni les constatations glaçantes, ni les piquées pleines d'humour et de légèreté. Comme Jacques Tardi intervient directement dans l'album, il ne tombe pas dans le piège d'imprimer sa subjectivité dans l'arrière-plan documentaire, ce qui laisse au témoignage du père toute son intégrité. L'extrémité de l'expérience vécue ne doit pas séparer, elle doit au contraire réunir les générations, et c'est l'impression chaleureuse et tendre qui reste au moment de tourner la dernière page de cet album.
Lien : http://colimasson.blogspot.f..
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On dit pas tank, on dit char! Et ne m'emmerdez pas. Lorsque je me suis engagé en 35, je souhaitais me battre. Pas moisir dans un camp pourri de ce coin pourri de Poméranie. Cinquante-six mois dans le Stalag II B, ça change la vision de l'homme. Forcément. La colère au ventre reste, barbouille la tête, aigrit les tripes plus que la dysenterie.
René, amer, honteux, toujours coléreux meurt en 1986 après avoir donné la vie a un fils dessinateur de talent et quelques cahiers d'écolier. Il a ressassé, a lassé le rejeton. Jusqu'au jour où Tardi fils, Jacques de son prénom, se plante dans le Stalag paternel.
Et putain, ça déménage.
Oh, il y en a eu des récits sur ces foutus camps mais pas ainsi, pas comme cela. Là, ça mesquine entre prisonniers, ça fait dans la lâcheté. le prisonnier est vil, petit. le paysan PG (prisonnier de guerre) rivalise avec l'Allemand pour la récolte de la sacro-sainte Kartoffel destinée à nourrir le nazillon. C'est l'appel de la terre qu'il dit. Il en oublie qu'il nourrit le fridolin, le con. René crache, méprise.
Ca barbote les nippes qui sèchent, ça va où le vent est moins froid, le PG. Il a surtout faim, le PG. Jusqu'au délire. La faim justifie l'ignominie.

Planté aux côtés de son père, Tardi fils en culottes courtes questionne, ironise. On imagine les conversations familiales chez les Tardi, les repas dominicaux. Jacques dessine au plus près du récit paternel. Et lorsque le récit est muet, il ne dessine pas.
ll y a du Bardamu chez René (ah oui, mes sublimes éditions de Voyage au bout de la nuit et de Casse-Pipe sont illustrées par Tardi!). le matricule 16402, sous-officier engagé frôle l'anar, épingle l'officier français qui ne copine pas avec le seconde pompe. Il snobe, l'aristocrate galonné. Il se fait même laver ses frusques par son ordonnance dans l'Oflag. René éructe contre un état-major incompétent responsable de la défaite honteuse, contre les futurs profiteurs du marché noir, contre le curé voleur de charcuterie, contre la France.
René ne décolèrera plus.

Moi René Tardi n'est pas une bande dessinée. C'est beaucoup plus.
Il y a le récit. Il y a le parti pris littéro-graphique ou graphico-littéraire (Le fils à venir campé dans les vignettes sombres). Il y a cet expressionnisme tatillon assombri par le rouge des drapeaux. Il y a L Histoire charnelle parce que vue du côté de l'histoire individuelle.
Il y a une catharsis familiale (le fils dessine, son épouse préface, la petite-fille colorie, le petit-fils se documente) et l'hommage à ces soldats déshonorés d'avoir été vaincus avant que de se battre.
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Ce tome est le premier d'une série de 3 dans laquelle l'auteur met en bande dessinée les souvenirs de son père René Tardi. Il s'agit d'une bande dessinée en couleurs, dont la première édition date de 2012. Elle a été réalisée par Jacques Tardi pour le scénario et les dessins, les couleurs ayant été réalisées par Rachel Tardi. le tome commence par une introduction de 4 pages rédigée par Dominique Grange, la fille de Jean Grange lui-même vétéran de la guerre de 39-45, et qui deviendra l'ami de René Tardi après la guerre. Elle évoque son grand-père vétéran de la guerre de 14-18, et sa condescendance pour le militaire que fut son fils honteusement défait au combat à ses yeux. Elle conclut sur le devoir de mémoire nécessaire pour les prisonniers de guerre qui peuplèrent des années durant les quelque 120 camps, disséminés à travers l'Allemagne et la Pologne. Suit une introduction de 4 pages rédigée par Jacques Tardi évoquant le fait qu'il avait demandé à son père d'écrire toutes ses anecdotes de prisonnier de guerre qui l'a fait 40 ans après les faits, et remerciant les personnes qui l'ont aidé dans ce projet.

Le jeune Jacques Tardi tout juste adolescent marche au milieu d'une large avenue, avec des voitures défoncées, des carcasses de char (pas des tanks), une fumée noire noircissant le ciel dans le lointain : il se trouve dans les souvenirs de son père. Celui-ci commence à raconter son histoire : nos chefs magnifiques nous avaient donné l'ordre de découvrir l'ennemi et de le détruire. Ça au moins, c'était du limpide même pour les plus limités d'entre nous ! C'était de l'avoine pour les bovins : C'était du militaire ! René revient quelques années en arrière : l'année de ses 18 ans, Adolf Hitler arrive au pouvoir. Il évoque rapidement les conditions très contraignantes de la première guerre mondiale, pour les allemands, sa mère Dame de la Poste, son père cordonnier vétéran de la guerre de 14-18, sa propre inscription à la préparation militaire où il obtient son brevet de conducteur de char, sa rencontre avec Henriette, pupille de la nation (père mort pour la France lors de l'offensive de la Somme le 17 novembre 1916). Puis il s'engage dans l'armée. Ses souvenirs d'un affrontement pendant la guerre entre son char et 2 chars allemands reprennent le dessus. Il explique qu'on appelle ça des chars et pas des tanks, il explique également la différence entre ceux équipés d'une mitrailleuse (les chars femelles) et ceux équipés d'un canon (les chars mâles).

René Tardi finit par indiquer à son fils que son combat entre son char et les deux chars allemands ne s'est pas exactement passé comme ça. Il reprend son histoire chronologiquement : son incorporation au 504e régiment de chars de combat à Valence en 1935, et ses classes pour devenir caporal. Puis il se marie le 07 septembre 1937, et le couple emménage à 300 mètres de la caserne. le petit Jacques s'étonne que son père ait si volontiers accepté les ordres dans une structure militaire, car ça ne lui ressemble pas. René revient sur le Traité de Versailles de 1919 qui avait installé, en Allemagne, tous les éléments favorables à l'avènement d'un sauveur national, d'humiliation en inflation, de chômage en amertume. Il passe ensuite aux accords de Munich de 1938, l'invasion de ce qui reste de la Tchécoslovaquie, puis l'invasion de la Pologne, et enfin la France et l'Angleterre déclarent la guerre à l'Allemagne. La drôle de guerre se passe, et enfin la compagnie de René Tardi se met en marche : le train part dans la nuit avec 50 chars et le matériel d'accompagnement.

Les deux introductions explicitent clairement la nature du récit : les souvenirs du père de l'auteur, mis en image par son fils, le besoin d'accomplir un devoir de mémoire pour les 1.600.000 soldats capturés envoyés en Allemagne, sur un total de 1.800.000 soldats capturés. La nature du récit dicte sa forme : chaque page se compose de 3 cases de la largeur de la page, chacune occupant environ un tiers de la page. Il y a généralement un seul phylactère assez copieux dans lequel René Tardi raconte sa vie quotidienne en s'adressant à son fils, incorporant son avis ou son ressenti sur ce dont il parle. de temps à autre, Jacques enfant intervient pour poser une question, ou pour se moquer d'une situation ou d'un avis. René et les autres prisonniers militaires arrivent au Stalag II B en page 80. Les auteurs commencent donc par resituer le contexte de la seconde guerre mondiale, du point de vue du sous-officier qu'est René, mais aussi de manière un peu plus large avec la mention de l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler, du Traité de Versailles, de la préparation insuffisante de la France pour juguler les volontés expansionnistes de l'Allemagne, que ce soit au niveau du gouvernement, au niveau militaire. Ils continuent ensuite avec les premiers jours de guerre de René commandant son char qui ne comporte comme équipage, qu'un mécanicien, jusqu'à ce qu'il soit fait prisonnier et emmené jusqu'au camp.

Le récit consacre ensuite un peu plus de 100 pages aux 4 ans et 8 mois passés au camp de prisonniers. Les auteurs rentrent dans le détail du quotidien : les poux, les colis, la mafia de la Poste, le curé et les messes, les rafles de travailleurs, les colis de la Croix Rouge, les porteurs de pommes de terre, la collecte des excréments, les sportifs, les posten, les joueurs de cartes, les radios pour capter la BBC, la politique du maréchal Pétain, les accords de Vichy, la bouffe toujours la bouffe, les poêles occupés, le manque de savon, le typhus, la prison, l'infirmerie, l'évolution de la guerre, les collaborationnistes, la faim, les clopes, le travail obligatoire, etc. du début jusqu'à la fin, le lecteur n'éprouve aucune sensation d'ennui : le père et le fils évoquent concrètement les aspects pragmatiques du quotidien, dormir (en trouvant un casier où s'allonger), manger (jamais assez), se laver (en essayant de dégoter du savon), aller aux toilettes, la promiscuité, la résistance passive contre les soldats du camp, les coups et les brimades, et bien sûr le marché noir organisé par les prisonniers. de plus, René Tardi se porte volontaire pour aller travailler dans une exploitation agricole, ce qui le fait changer de lieu, d'occupation, et de d'organisation carcérale pendant quelques temps. En outre, ils intègrent le fait que les prisonniers ont réussi à disposer de radios, et qu'ils se tiennent informés de l'évolution de la guerre, et qu'ils perçoivent en quoi les défaites des allemands augmentent la dureté de leur traitement, et dans le même temps amènent des prisonniers de nationalité différente au Stalag II B.

Le lecteur se rend vite compte qu'il commence chaque case en lisant le texte, ne jetant qu'un coup d'oeil distrait au dessin. Il est sous le charme de la personnalité de René Tardi qui transparaît dans ses jugements de valeur, et dans ses tournures de phrase incorporant quelques mots d'argot. Il apprécie la question de Jacques pour obtenir une phrase d'explication sur un terme technique ou contextuel come pupille de la nation, cinquième colonne, Noël Roquevert (1892-1973, acteur), AOF & AEF, bouteillon, charbon de Belloc, gummi, kréoline, la relève. Il se rend compte que la violence des traitements, la déshumanisation, les privations sont exposées, mais avec une réserve et une pudeur toutes masculines qui n'étalent pas au grand jour la souffrance physique et psychologique, ce qui rend la lecture finalement agréable car René Tardi semble tout supporter sans se plaindre (à part pour la faim), et en gardant un espoir que tout cela connaîtra une fin, sans subir l'angoisse de la mort. Ce qui n'empêche pas qu'il constate le décès de ceux physiquement plus faibles, des camarades ayant eu un mot de trop ou un regard malencontreux, des polonais race honnie par les allemands, des soldats sénégalais, des russes, etc. du coup, il finit par se demander ce que lui apporte les images.

Après tout, les dessins ne sont que descriptifs, mais c'est déjà leur première qualité. Chaque case constitue une reconstitution historique d'une grande qualité donnant à voir les uniformes, les chars, les uniformes des soldats des différentes armées, les barraques de prisonniers, les châlits, la boue, la promiscuité, les effroyables conditions sanitaires, etc. Par exemple, le père explique le rituel de la distribution du pain chaque soir, en indiquant : il fallait respecter la distribution du pain, c'était une véritable cérémonie, une messe un pataquès extrêmement sérieux. le dessin montre un groupe de 5 prisonniers se livrant au rituel de peser chaque tranche pour s'assurer que chacun ait exactement la même part : le souvenir s'incarne, avec l'extraordinaire capacité de l'artiste à donner vie à des individus avec des bouilles expressives. le second effet direct des dessins est de rappeler au lecteur à chaque case la réalité du lieu : le camp d'emprisonnement, l'intérieur des barraques, les toilettes, la soupe, les barbelés, la boue, les conditions climatiques, le rituel de l'appel et du comptage, etc. Jacques Tardi réussit à faire en sorte que chaque case, chaque séquence soient visuellement différentes, tout en rappelant régulièrement la présence des barbelés, des conditions de vie, en montrant les prisonniers se côtoyer. Il met tout son savoir-faire de bédéaste au service des souvenirs de son père, laissant le texte de ce dernier au premier plan, conduisant la narration jusqu'à faire paraître les dessins presque superfétatoires. Cependant, il s'agit bien d'une bande dessinée, et les informations visuelles viennent en complément du texte pour faire exister chaque personne, chaque lieu, sans jamais se retrouver redondantes avec ce que disent les mots.

Ce tome constitue une expérience de lecture singulière : une bande dessinée où les dessins semblent superflus, des mémoires de 1.680 jours d'un prisonnier de guerre, durs sans être pesants, une reconstitution historique minutieuse sans être pédante, une immersion dans un quotidien impossible à imaginer. À la lecture, il devient évident que le fils Jacques a effectué un travail extraordinaire de narration, rendu invisible pour être fidèle à la parole de père René. Il s'agit d'un récit dense, cru sans être vulgaire, terrifiant sans être déprimant, un devoir de mémoire très vivant, rendu savoureux par la personnalité de René Tardi qui ne se considère pas comme une victime passive et qui pointe du doigt les coupables de cette défaite de la France, les comportements mesquins et odieux des collaborationnistes qu'ils soient dans la France occupée, à Vichy, ou dans le camp Stalag II B. le tome 2 retrace le retour en France de René Tardi, et le tome 3 sa vie après la guerre.
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Lire Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag II B sans penser au célèbre Maus d'Art Spiegelman est impossible. Tout comme Art Spiegelman, Jacques Tardi a recueilli le témoignage de son père et a mis en images ses souvenirs de la seconde guerre mondiale. L'un (René Tardi) a été prisonnier de guerre et l'autre (Vladek Spiegelman) interné en camp de concentration. de ces deux figures paternelles aux traumatismes indélébiles, il restait les souvenirs. Et un fils pour les faire connaître au public. Inspiré des cahiers et croquis de son père, Jacques Tardi, en témoin bavard, accompagne René Tardi de bulle en bulle tout au long de son récit. C'est suite à l'échec d'une mission que René Tardi est déporté dans un des Stalags allemands de Poméranie. Les conditions de vie bien que déjà désastreuses à son arrivée, se détériorent avec la montée en puissance du régime nazi. La faim, le froid, les parasites et les maladies emportent les plus faibles. Une lutte amère pour la survie s'engage. Et les prisonniers ont beau s'habituer à tout, il est une chose qui anéantit même les plus forts : la faim. Comme si la faim était l'attribut par excellence des prisonniers. Seuls les plus acharnés et surtout les plus malins réussiront à tenir jusqu'à la défaite du régime nazi. En tout, ce sont 5 ans de sa vie que René Tardi aura sacrifié au Stalag II B. Après des années, sa haine contre les SS mais aussi sa colère contre l'absurdité de la guerre l'habitaient encore. Les dialogues entre père et fils qui ponctuent la bande-dessinée, révèlent sans surprise un homme au caractère endurci, aigri...

Émouvante et révoltante, cette bande-dessinée témoigne d'une expérience douloureuse qui telle une sorte de malédiction de famille, avait déjà frappé Jean, le grand-père de Jacques Tardi. Drôle de coïncidence en effet, lorsque l'on pense que père et grand-père ont combattu sur le même champ de bataille de la Somme. A 25 ans d'écart et au même endroit, les deux hommes ont tous deux participé aux grandes guerres. Mais à part de cet "héritage familial", plus qu'un hommage, Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag II B a permis à Jacques Tardi de se réconcilier avec son propre père : "J'ai compris, donc, à quel point ces années terribles avaient compté pour lui, dont la jeunesse avait été confisquée, volée, pourrait-on dire... (...) Un vaincu, un perdant revenu de tout... Ce n'était pas très épanouissant pour le gamin que j'étais alors, d'évoluer aux côtés d'un type en pétard du matin au soir." C'est d'ailleurs avec un peu de tristesse qu'il avoue regretter "de ne pas lui avoir posé certaines questions alors qu'il en était encore temps. Des questions qui resteront sans réponse." A ces dernières remarques, je répondrais juste : "Que Jacques Tardi se rassure, son entreprise est une réussite et quoique certaines de ses questions ne trouveront jamais de réponses, il est certain que ses lecteurs ne sauront qu'apprécier sa démarche."

D'un point de vue esthétique, cette première partie est remarquable. Et comme si chez les Tardi, tout était une question de famille, on notera que le beau travail de colorisation de Rachel, la fille de Jacques a été primé au Festival de Solliès-Ville en 2012. Bref, il s'agit bien là d'une "affaire familiale" à découvrir et à suivre bien évidemment.
Lien : http://embuscades-alcapone.b..
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Voici un intéressant témoignage de la vie quotidienne des prisonniers de guerre de la seconde guerre mondiale, dont leur sort très peu enviable fut éclipsé d'un côté par les anciens combattants de 14-18, de l'autre par les victimes des camps de concentration nazis.
Jacques Tardi met en image la guerre vue de son père, conducteur de char engagé par conviction, malgré sa forte sensibilité antimilitariste. le style est beaucoup plus austère que les BD traditionnelles de l'auteur. Il cherche visiblement à s'effacer derrière son père, à ne pas trop en faire, à coller au plus près du texte. La mise en planche est monotone et répétitive (trois cases rectangulaires par page, qui sont comme un métronome rythmant le tempo du récit), sans effets de mise en scène, même si le dessin reste extrêmement léché et fidèle en reconstitution historique. Pourtant, il se dessine constamment en enfant à ses côtés, cherchant (peut-être ?) à symboliser ainsi la mémoire familiale et la transmission. Cet artifice m'a un peu gêné au cours de la lecture et m'a probablement empêché de m'immerger complètement dans le récit.
Ce n'est pas à mon goût un des meilleurs albums de Tardi, même si les prochaines relectures le bonifieront probablement ! On comprend cependant qu'il ait eu envie de rendre hommage à son père à travers cet album. Même si on a du mal à voir comment il va pouvoir remplir un second tome de plus de 200 pages (on quitte l'histoire en 1944), je le lirai avec plaisir.
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Sous le trait brut de René Tardi, en noir et blanc, avec quelques nuances de gris en aplat, et de très rares notes de rouges, pour marquer des moments forts, uniquement pour colorer le ciel au début de l'histoire, et les drapeaux par la suite. On découvre la vie dure, morne et triste dans les camps de prisonniers de guerre, les fameux Stalags de la seconde guerre mondiale en Allemagne. Il y a tout un travail sur l'ambiance, bien rendu par ces tons austères. Jacques discute avec son père, qui a passé toute la seconde guerre dans ces camps, Jacques est représenté dans presque chaque image, dialoguant avec René, son père, on voit donc Jacques déambulant dans ces camps, posant des questions à son père qui lui, est mis en situation dans ces camps. le propos est édifiant, c'est encore un travail remarquable et nécessaire, un témoignage fort et efficace, à la hauteur de ce qu'il a fait sur la première guerre mondiale.
Personnellement, mon grand père a aussi passé 5 années de sa vie dans ces camps, il n'a jamais voulu nous en parler, il est revenu usé, édenté par le scorbut, mais n'en a jamais parlé à ces petits enfants. Pour moi, cette lecture est une découverte cruelle, bouleversante, et je remercie Jacques Tardi de nous avoir éclairé sur cette page d'histoire avec talent, sans spectaculaire superflu. Je trouve que ce talent s'exprime encore mieux dans le témoignage que dans la fiction, pourtant, Tardi est déjà très bon avec la fiction.
Comme avec ”Putain de Guerre”, j'ai envie de dire que tout le monde devrait le lire.
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Adèle est bête comme ses pieds
Adèle et la bête
Adèle est la bête
Adèle et l'abbé

10 questions
53 lecteurs ont répondu
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