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« Le Royaume », suite.

Ayant commencé à lire ce cycle par cet épisode, je le situerai à présent comme pivot central, de par sa structure forte et linéaire, dominante, héraut du triomphe de ce darwinisme social que l'auteur interroge.

L'histoire se centre sur un homme, Lenz Buchmann, chirurgien d'élite, tout entier concentré sur sa puissance, cultivant sa supériorité supposée sur ses semblable ; son manque d'empathie, sans aucun remords, le plaçant dans la catégorie psychiatrique des sociopathes ; son engagement en politique, ses relations glaçantes avec son frère aîné, jusqu'à l'inévitable déchainement de violence froide qui surviendra, sans conséquences, le tout formant un paradigme de la « volonté de puissance » chère à Nietzsche.

De très courts chapitres, chacun introduit par une phrase nominale, sectionnés par une numérotation quasi-nutile, ne dépassant que rarement le « 1 », l'auteur adoptant cette forme scientifico-administrative, entre grand sérieux et profonde absurdité, où l'on n'échappera pas à l'ombre de Kafka.

L'histoire basculera dès que notre héros tombera malade, dans une deuxième partie, jusqu'à sa mort annoncée comme épilogue logique, renversant ainsi les rôles dans un crissement de limaille de fer, « l'handicapé » (les personnages du sourd-muet et de sa soeur) dominant à présent l'ex-mâle alpha, sans que l'histoire ne se vautre dans une évidente vengeance, ni dans une morale miséricordieuse, mais plutôt dans un très fin intervalle humain, secoué comme il se doit par le viol de cette bibliothèque, symbole trouble mais évident de l'abattage du Père, et de sa cohorte d'interprétations psycho-philosophiques, les pères spirituels de l'Europe du Milieu sautillant sur nos épaules de lecteurs effarés.

Roman pilier de ce cycle, où le Mal interroge crûment la notion de Bien, comme une émulsion empoisonnée, mais nécessaire, nommée efficacité sociétale, il m'évoque sans le vouloir cette énième ré-édition de « L'Entraide » de Pierre Kropotkine, que les éditions Nada ont trop habilement marketé, d'une couverture au design irrésistible pour le consommateur progressiste-bienveillant (voir lien ci-dessous), ré-affirmant l'éternel et séduisant rêve anarchiste d'une société fonctionnant sans rapports de force, nous vendant encore et toujours du papier avec des souhaits imperméables aux leçons de l'Histoire et de la Science, affirmant une réalité parallèle sourde aux tristes enseignements du dialogue mélien (gagnez un petit tour chez les athéniens…) ; pensée pleine de couleurs primaires et de contrastes marqués, que ce cycle romanesque ici présent se propose d'écharper, y formant de petites boules grises pleines d'aspérités, que l'on aura beaucoup de peine à inclure dans ce régime théorique, séduisant et si digeste, vendu par ce terme flou de post-modernité.

Oeuvre passionnante à la morale auto-destructive, ce cycle s'achèvera sur le double roman : « Un homme : Klaus Klump // La machine de Joseph Walser », qui a malheureusement attiré moins de lecteurs, alors qu'il représente pour moi son aboutissement.

Lien : https://static.librest.com/c..
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La recherche de la force, de la puissance, voilà le but de Lenz Buchmann dans la vie. Il répond en cela parfaitement aux attentes de son père, ancien militaire aux méthodes d'éducation particulières : le fait d'avoir peur menait à une punition, l'enfermement dans une cave ; on ne prend jamais un enfant sur les épaules dans la foule, s'il veut voir quelque chose, à lui de faire sa place ; plus tard, il supervisera la première relation sexuelle de son fils, avec la femme qu'il lui aura indiquée.

Cet état d'esprit recherche a mené Lenz à devenir chirurgien. Pas par compassion pour les hommes, loin de là : les adieux déchirants, les patients qui refusent le combat et abdiquent devant la maladie, le révolte au plus haut point. Seuls comptent sa maîtrise parfaite de ses gestes, sa capacité à remettre de l'ordre dans un corps désorganisé. Il développe également une passion secrète pour les mendiants, les fous et autres marginaux de la ville. Ces individus possèdent en effet une liberté totale, une capacité à vivre selon leurs propres lois, qui semblent admirables au docteur Lenz. Ils ne sont toutefois qu'à la moitié du chemin, puisqu'incapables d'imposer ces règles à l'ensemble de la population.

Buchmann se tourne alors naturellement vers la politique : réparer un corps social malade n'est pas bien différent que de guérir un corps humain malade. Et les citoyens manifestent un respect spontané devant l'Autorité, alors que les convalescents se sentent obligés de lui prêter des sentiments de bonté et de compassion, ce qui l'irrite considérablement.

Cette quête du pouvoir de se suit avec une certaine fascination. Lenz est totalement déshumanisé, et incapable d'éprouver la moindre compassion. Quand il apprend que son propre frère est atteint du cancer, il a la même réaction que pour ses patients : du mépris devant cette faiblesse affichée, qui le poussera même à tenter d'effacer des mémoires cet individu indigne du sang qu'il a reçu. Les rares moments d'émotion et de fragilité que Lenz éprouve sont dû à la mémoire de son père, figure qui l'a durablement marqué (et on peut comprendre pourquoi !). Toute son énergie est concentrée sur son objectif, les autres personnes qui l'entourent ne sont que des êtres à modeler, à rediriger dans la bonne direction, c'est-à-dire la sienne.

Le roman peut certainement se lire à plusieurs niveaux. Premièrement, comme illustration de la montée des totalitarismes qui nient les désirs individuels et imposent la vision du chef. D'autre part, la « volonté de puissance », forger et n'obéit qu'à sa propre morale sont des termes qui ressemblent furieusement à certains discours de Nietzsche.

Je ne prétendrai pas avoir saisi tous les messages de ce roman, mais l'expérience a été malgré tout particulièrement intéressante.
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Malgré son titre il ne faut pas s'attendre en lisant ce roman, parfois difficile, à un éloge de la spiritualité.
Tout au contraire. Si les question techniques (chirurgicales, politiques, manipulation des opinions) occupent les pensées de son personnage principal, Lenz Buchmann, on ne peut pas en dire autant des considérations morales ou simplement humaines. le sous-titre « Position dans le monde de Lenz Buchmann » aurait finalement été suffisant pour ce récit étrangement sec et pince sans rire, sous influence kafkaïenne.
Je voulais éviter cette comparaison avec Kafka car j'estime qu'on associe son nom avec toutes sortes d'ouvrages, pas toujours à bon escient. Mais ici je ne peux pas éviter le rapprochement, tant l'univers de Gonçalo M. Tavares me paraît frère de celui de Kafka. Et c'était déjà le cas avec " Jérusalem ".
Ce Docteur Lenz Buchmann est un être impitoyable, manipulateur, marqué à jamais par un père tout aussi froid et dangereux. Excellent chirurgien au début du roman il se tournera finalement vers la politique car sa soif de pouvoir sur les êtres est telle qu'elle ne satisfait plus d'avoir affaire à un seul patient à la fois.
Je reviendrai sûrement à cet auteur tant il me paraît singulier et créateur d'une oeuvre forte.
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Un livre qui fourmille d intelligence. de courts chapitres (une marque de fabrique chez l auteur), un style épuré où chaque mot a sa place pour mieux rendre la froideur mathématique de lenz, le personnage central de ce texte. superbement construit, Tavares nous raconte la vie de cet homme totalement dénué de sentiments, d empathie, de remords ou scrupules. Naissance avortée d un dictateur potentiel, arriviste, calculateur émérite, la logique de lenz est implacable. le poids de l héritage familial (le père, le frère, Gustav) devient un carcan, une règle de vie. Misogyne, ne comptant que sur lui, il aura pourtant besoin d aide pour réaliser sa "sortie". Quand le passé familial revient frapper une dernière fois à la porte..
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Dans ce livre nous suivons l'ascension et la chute de Lenz Buchmann. Dans un premier temps, tout lui réussit, ce qui confirme la vision qu'il a du monde, valide sa pertinence. Dans un deuxième temps, par un retour du balancier, tout s'inverse d'une certaine façon et lui revient à la figure, et il finit par tour perdre, et donc la réalité en quelque sorte lui donne tort. La force devient faiblesse, le gagnant perd tout. L'absence de sentiments rend tout échange impossible.

C'est brillant, intelligent, original dans l'écriture et dans la façon de construire le livre. En même temps peut être malgré tout un peu mécanique dans ce système d'inversion, de programmation, les personnages manquent quand même un peu d'une certaine épaisseur et complexité. Mais ce n'est pas un roman psychologique, autre chose, et donc c'est quelque peu inévitable de perdre cette dimension compte tenu du parti pris de l'auteur. Qui a un talent certain. Un excellent livre.
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Lenz Buchmann est un maître en technique opératoire, c'est-à-dire un médecin de profession, un chirurgien froid, qui exerce son métier comme un combattant, un ennemi du désordre et de la maladie. S'il n'est pas franchement misanthrope (puisqu'il se considère comme un soldat au service de l'humanité technicienne et raisonnable contre la nature chaotique), il n'est franchement pas un humaniste compassionnel, disons qu'il ne supporte pas tout ce qui est faiblesse dans l'homme. Il a hérité ce caractère de son père, un ancien militaire avec qui il entretenait une relation forte. La brutale scène d'ouverture plonge tout de suite le lecteur dans l'ambiance et on comprend qu'on ne va pas vraiment évoluer dans un monde de paix et d'amour mais de lutte. Lenz Buchmann va au cours du roman décider d'exercer ses talents de stratège dans le domaine politique.
Ce roman est plus conventionnel par rapport aux autres écrits de Tavares que j'ai pu découvrir. Il est quand même rudement curieux et donne beaucoup à réfléchir. Est-ce à cause des patronymes allemands (on sait très peu de choses sur la situation géopolitique, on devine une ville allemande à peu près contemporaine, après une guerre, et un régime politique totalitaire avec un parti unique) ou est-ce à cause du titre et de la personnalité singulière de Lenz Buchmann, mais on pense inévitablement à des philosophes allemands, Nietzsche et Heidegger en particulier. Lenz est un personnage nietzschéen, mais plutôt issu de la sous-interprétation de Nietzsche, il ne cherche pas tant à affirmer sa volonté de puissance vers le surhomme qu'à imposer son pouvoir aux autres hommes ; il reste un homme politique, humain, encore trop humain. Et il est également une aberration heideggérienne, l'homme technicien dépoétisé engagé dans une lutte aveugle contre la nature. Un homme instruit mais dont le parcours a été dévoyé par un père autoritaire ; pour le dire dans une rhétorique nietzschéenne, Lenz Buchmann est tout à la fois Chameau, Enfant et Lion.
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C'est un livre puissant qui d'abord vous terrasse et s'impose de manière univoque, puis, subrepticement semble se dédoubler et se prêter à d'autres interprétations.
L'auteur y raconte la longue ascension et la chute brutale d'un homme programmé pour être fort. Un homme dénué de tout affect, une machine dont le comportement – ou plutôt le fonctionnement - s'apprécie en termes de compétence et non de morale. Et son roman explore les fondements du pouvoir avec une lucidité provocatrice, décapante et dérangeante, en suivant le parcours d'un héros monstrueux qui ne nous semble pas, pourtant, si étranger...
Lien : http://l-or-des-livres-blog-..
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Toute fin d'aventure a quelque chose de triste. En mettant un terme à la tétralogie de ces fameux « livres noirs », comme les décrit Gonçalo lui-même, Apprendre à prier à l'ère technique n'en reste pas moins une oeuvre puissante et originale, impressionnante, dans l'ensemble de ce que peut proposer la littérature portugaise.

Dans un pays qui importe peu, vivant en paix, avec le souvenir encore frais des combats, le docteur Buchmann Lenz décide de s'engager en politique. Estimant qu'il a prouvé sa valeur comme médecin, il va prendre les mesures nécessaires pour devenir une sorte de patriarche pour le peuple. Une volonté insatiable de conforter son autorité et surtout de l'étendre anime, il puise dans une théorie intrigante sa stratégie. S'il a été en mesure de soigner des individus, il peut alors exercer son art médical pour une ville tout entière. Il se rapproche alors d'un candidat à la présidence du pays.

Et Gonçalo nous entraîne alors dans l'âme d'un homme froid et calculateur. Sans pitié même, mais à l'image de ce que peut être l'homme moderne quand il atteint des postes de pouvoir. Une constante dans l'écriture de Tavares, qui déploie une fois encore son pessimisme à l'égard de l'espèce humaine.
Lien : http://www.actualitte.com/do..
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C'est un livre extrêmement curieux. Des chapitres courts (2 ou 3 pages), titrés sous forme de commentaires (« Se réveiller au milieu de machines et dire sa reconnaissance / La main n'a plus le même poids »), commentaires descriptifs ou ironiques qui semblent avoir été écrits par un autre narrateur que le romancier, et qui égaient la lecture – dans la mesure du possible.
L'écriture est précise, sans ornement, froide et logique. Dans Apprendre à prier à l'ère de la technique, tout est mécanique, technique, impeccablement maîtrisé. Gonçalo M. Tavares, écrivain portuguais né en 1970, professeur d'épistémiologie à l'Université de Lisbonne, n'est pas là pour rigoler, encore moins pour nous divertir. Il ne donne pas, non plus, de leçon. Il propose un roman qui d'abord désoriente par sa construction ; puis l'on pense à cette ère de la technique, la nôtre et, le cas échéant, l'on peut partir dans de plus ou moins longues réflexions – politiques, poétiques, religieuses, morales etc. Pour ma part j'ai rêvassé, essayant d'établir un lien entre le titre et l'oeuvre. Je ne suis pas allé plus loin, reposant le livre en me disant seulement (et c'est déjà pas mal) : oui, « quel curieux bouquin… Il faudra que je relise du Tavares.
Lien : https://www.amuse-bec.com
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"Je brûlais d'envie de lire ce roman au si sexy pitch, j'ai été déçu. Très. Malgré des idées fortes, ce qui, on le sait depuis longtemps, ne suffit pas à faire un roman – ni même une oeuvre, dans quelque domaine que ce soit."
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