Le mot « quartier » évoque un espace accueillant, familier, un espace dans lequel on a confiance en ses voisins. Le Quartier des Messieurs est un espace ludique et utopique. Un
quartier où l’on essaie de barrer la route à la bêtise.
On raconte que Monsieur Saramago aurait frappé Monsieur Tavares, il y a longtemps : Monsieur Saramago était jaloux, dit-on, de sa façon d’écrire. Moi-même, si je croisais Monsieur
Tavares dans une rue du Bairro, je lui collerais volontiers une tape amicale sur la nuque : pour lui signifier ma propre jalousie de ne pas avoir, par mes écrits, suscité l’envie de Monsieur Saramago. On imagine aisément tout le Quartier,Monsieur Breton, Monsieur Henri, Monsieur
Kraus, Monsieur Valéry, Monsieur Eliot, Monsieur Walser, Monsieur Brecht, Monsieur Calvino et même Monsieur Swedenborg, tous les Messieurs ensemble et les uns derrière les autres,
courir en hurlant après Monsieur Tavares pour lui faire un mauvais parti : autant d’aisance, d’intelligence et de finesse donnent tout simplement
une féroce envie de lui taper dessus.
Dans le Quartier, il y a constamment des habitants qui arrivent et d’autres qui s’en vont. Et, dans le projet tel que je me l’imagine, il y aura à l’avenir une invasion pacifique du Quartier par des Dames. Sont déjà là, frappant à la porte, madame Bausch et madame Woolf. Elles apporteront un autre rythme, provoqueront une nouvelle perturbation des événements. Ce sera la suite narrative de ce projet que j’espère achever
dans les prochaines années. Les livres ont été conçus, et existent, individuellement. S’il m’est permis de faire une suggestion au lecteur, je lui recommanderais de lire un Monsieur, puis de faire une pause. Mieux vaut ne pas les lire tous d’une traite comme un roman,car ils ont été pensés séparément.
Le Quartier est une utopie. Chercher le bonheur, sans violer les lois, est sagesse. Travailler
au bien général est religion. Fouler aux pieds la félicité d’autrui en courant après la sienne une action injuste. Les Utopiens appellent volupté tout
état ou tout mouvement de l’âme et du corps dans lesquels l’homme éprouve une délectation naturelle.
Un quartier
excentrique et masculin est-il viable ? (Peut-être
pas si masculin que ça : certains de ces grands
hommes sont sans doute mariés… Nous savons
que Monsieur Juarroz, pour ne nommer que lui,
l’est, marié, puisque son épouse, restée anonyme,
joue un rôle de premier plan dans la vie matérielle de Monsieur Juarroz.) Si un appartement
devait se libérer dans ce village, devrait-on courir pour s’y loger ? Peut-être. En tout cas, au vu
des déboires de Monsieur Walser avec les artisans, je déconseille d’y faire construire : même si
la forêt qui entoure le village n’a pas l’air peuplée de gnomes, d’elfes ou de créatures magiques,
les maisons (littéraires, elles aussi) y professent
une fâcheuse tendance à la déconstruction.