Citations sur Accroche toi à ton rêve (33)
Avec l’habileté et l’imagination qui lui étaient coutumières, elle avait réussi à retourner rapidement la situation. Elle avait alors fait son deuil des émotions et des sentiments, de peur qu’ils ne vinssent obscurcir son jugement. C’était, en effet, grâce à son intelligence exceptionnelle qu’elle s’était tirée jusque-là des situations les plus désastreuses.
Depuis bien longtemps, la déloyauté humaine ne la surprenait plus, car sa finesse naturelle et sa connaissance intuitive d’autrui l’avaient trop souvent avertie du danger au cours de sa longue vie.
L’ensemble de ce qu’elle possédait avait été chèrement acquis, au cours d’une vie tout entière tournée vers un but unique. Elle ne s’était épargné aucune peine, avait montré une résolution à toute épreuve, sans jamais relâcher son effort. L’empire qu’elle avait constitué, au prix de terribles sacrifices, était son œuvre : elle avait le droit d’en disposer à sa guise.
La vendetta qu’elle avait entretenue contre les Fairley pendant la plus grande partie de sa vie était désormais terminée, puisque les deux familles s’étaient réconciliées grâce au mariage de Paula avec Jim Arthur Fairley, le dernier rejeton de la branche aînée.
Puisque le diable, paraît-il, trouve toujours du vilain ouvrage à proposer aux fainéants, je ferais mieux de m’atteler à un nouveau projet avant qu’il ne vienne me tenter. Elle ne put alors s’empêcher de rire : aux yeux de la plupart des gens, elle avait largement de quoi s’occuper à plein temps ! Elle continuait, en effet, à diriger son vaste empire industriel et commercial, et ses affaires, avec leurs ramifications internationales, requéraient ses soins constants.
Encadré par la curieuse plantation des cheveux – en pointe au milieu du front –, le visage ovale était désormais marqué par la vie mais avait conservé toute sa netteté, et la peau avait encore la finesse de la jeunesse. C’est pourquoi, en dépit du passage du temps, Emma ne laissait pas d’être impressionnante, d’autant qu’elle avait gardé grande allure.
Emma Harte approchait de ses quatre-vingts ans. Elle ne paraissait pas son âge car elle avait su vieillir avec grâce. Et en ce matin ensoleillé du mois d’avril 1969, assise à sa table de travail dans son petit salon de Pennistone, elle avait elle-même l’impression d’être beaucoup plus jeune.
Est-ce l’âge, je me le demande, qui nous fait nous attacher aux lieux familiers, à ceux que nous connaissons le mieux ? Est-ce le souvenir des années disparues et des êtres que nous avons tant aimés autrefois qui nous y retient et nous les rend si chers ? Oui, songea-t-elle, du moins en ce qui me concerne.
Emma l’avait détesté de toutes ses forces quand elle était petite. En fait, elle l’avait haï presque toute sa vie. Maintenant, avec la sagesse que lui conférait son grand âge, elle comprenait qu’Adam n’avait pas été le tyran qu’elle imaginait. Mais il s’était montré irréaliste et cela, en soi, était un crime à ses yeux. La négligence monstrueuse de cet homme, son égoïsme et son égocentrisme, enfin sa folle passion pour Olivia Wainright avaient eu des conséquences catastrophiques pour tous ceux qui dépendaient de lui. Oui, Adam Fairley avait été coupable d’oublier ses responsabilités et il avait témoigné d’autant d’insouciance que de cynisme. Il n’avait pas eu la moindre considération pour les malheureux qui travaillaient dans ses ateliers, qui lui permettaient justement de mener une existence de privilégié et dont il avait, dans l’absolu, la charge morale.
A quatre-vingt-trois ans, il était toujours plein de vitalité. Pourtant, personne n’est immortel, se dit-elle avec une légère anxiété en songeant à l’inévitable. Au bout d’un certain nombre d’années, on attend la visite de la mort comme celle d’une vieille connaissance.