La raison principale que l’on retrouve invoquée sous la plume de cheikh al-islâm pour réprouver la rébellion est que l’ordre social et la sécurité que procure un État, quel qu’il soit et quelle que soit sa conformité à la religion, est toujours préférable à l’anarchie et au chaos.
L’intérêt de la collectivité veut donc que, même face à un pouvoir tyrannique, les gouvernés et les hommes de religion (puisque c’est à eux que s’adressent ces instructions) n'aggravent la situation en répandant les germes d’une guerre civile :
« Par contre, il ne faut pas combattre le Mal par des moyens pires, en brandissant les armes contre eux ce qui engendrerait des guerres civiles. C’est là un principe fondamental de la Sunna et du Consensus, ainsi que le démontrent les textes prophétiques, car cela entrainerait des désordres qui viendront s’ajouter à un mal déjà produit par leurs oppressions. »
Il affirme ainsi, dans la première épître, que même un régime « corrompu » conserve des bons aspects dans la mesure où l’existence d’un État stable est préférable à une situation de chaos et de guerre civile. De ce fait, tout individu ou institution qui détient le pouvoir, quelle que soit la nature de sa croyance, réalise nécessairement des intérêts collectifs et possède forcément des vertus qui rendent l’opposition armée à ce pouvoir plus néfaste que bénéfique.
A cela s’ajoutent des impératifs comme l’unité de la Oumma et sa défense contre les périls extérieurs. Il faut maintenir l’unité des musulmans même derrière un chef contestable, plutôt que courir le risque de les diviser, ce qui les mettrait en danger face à des menaces vitales. Or, la critique intempestive des chefs et des représentants de l’autorité publique divise les musulmans et les affaiblit. Parfois, il vaut mieux supporter ces désagréments et les écarts des dirigeants pour l’intérêt général de notre civilisation.
Parfois même, un dirigeant déviant sur le plan personnel mènera des actions politiques qui réaliseront l’intérêt de la Oumma, comme l’indique ce hadith : « Allah donnera certainement la victoire à cette religion par l’intermédiaire d’un chef inique » et comme le montre l’exemple de la dynastie omeyyade qui contribua fortement à l’expansion militaire de l’Islam et à la prospérité économique des musulmans, bien que certains de ses califes étaient accusés de déviances sur le plan personnel. (pp. 43-44)
Présentation des oeuvres de Ibn Taymiyya par Thomas Sibille de la Librairie al-Bayyinah.