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Critique de CultureLivresque


Tchekhov écrit La Cerisaie un an avant sa mort, alors qu'il est malade. La rédaction de cette pièce qu'il veut comique lui est difficile. Il y présente un témoignage d'une époque de dépression et de désillusion. Anton Tchekhov va créer dans son théâtre une forme nouvelle, avant-gardiste, symboliste. Il veut parler à la sensibilité de l'homme moderne. Dans cette comédie qui nous fait plutôt penser à un drame statique, la sensibilité touche peut-être plus les personnages que les lecteurs...

La Cerisaie, c'est l'histoire d'une famille aristocrate qui s'est appauvrie. Voilà trois ans que la mère, Lioubov, et la fille, Anya, étaient en voyage en Europe, à Paris. Mais le manque d'argent et les dettes forcent leur retour. Retrouver leur demeure et Varia, fille adoptée par Lioubov, ne les enchantent pas particulièrement. le plaisir de retrouver leur maison telle quelle est fort, mais le risque de perte de ce lieu-mémoire aristocratique les blesse. Et pourtant, Lopakhine, ce moujik, veut aider, propose des solutions pertinentes. Mais chacun est enfermé dans son propre monde, chacun parle pour soi et non pour ou avec les autres. Chacun reste dans sa bulle jusqu'au drame.

De toute évidence, il faut lire La Cerisaie pour ce qu'elle est : une pièce de théâtre symbolique, qui se voudrait comique, mais à laquelle on ne peut pas retirer l'aspect dramatique. Les cerisiers sont les sujets du drame. Ils représentent l'aristocratie et les souvenirs d'une riche vie aux yeux de Lioubov et sa famille. Mais ils portent un autre symbole pour Trofimov. « Songez seulement, Ania, votre père, votre grand-père et tous vos aïeux possédaient des serfs, des âmes vivantes, vous devez les voir, ces êtres humains, ils vous regardent de chaque cerise du jardin, de chaque tronc d'arbre, vous devez entendre leurs voix… » Pour Trofimov, les cerisiers représentent le servage et toutes les personnes envers qui la famille est redevable. Lorsque la pièce s'achève, les cerisiers sont abattus. Suivant l'axe de lecture, nous y lisons la fin de l'aristocratie, mais aussi la fin du servage. La seconde interprétation est renforcée par le fait qu'il s'agisse d'un moujik, un ancien serf, qui fait abattre les arbres.

En lisant cette pièce, je savais que l'auteur avait voulu faire une comédie. Mais j'y ai été difficilement sensible. On oublierait presque de rire des farces et des maladresses des personnages. le surnommé « vingt-deux malheurs » existe essentiellement pour nous faire rire. Mais je n'ai pas ri, souris, je ne me suis pas particulièrement amusée. Pourtant, elle comporte des ressorts comiques, là n'est pas le problème. le fait est que La Cerisaie semble osciller entre tragédie moyenne et comédie héroïque. Mais une comédie héroïque un peu à côté. Pour être sensible au comique, il ne faut pas se prendre au jeu des personnages, s'identifier à eux, il faut les voir agir. Tchekhov place le quatrième mur pour nous présenter un tableau comique par ses réactions déplacées et par les répliques toujours en décalage des personnages.

En se plaçant « au-dessus » des personnages, on apprécie la manière dont les monologues masqués en conversations se tissent pour former un panorama d'une société gangrénée. Malgré cela, Tchekhov ne fait jamais de choix entre le matérialisme de Lopakhine et l'aristocratie de Lioubov. Chacun porte son masque, chacun essaie d'agir comme il peut, mais tous sont soumis au joug du changement. Firs est le symbole parfait de ce changement d'époque. Tout le monde fait attention à lui, ce serf qui veut le rester, mais à la fin, tout le monde pense qu'il a été conduit à l'hôpital. Mais finalement, il a été oublié, il est vieux et malade et il a été abandonné dans ce jardin qui sera détruit, au son des cerisiers mourants.

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