Le XXe siècle est tout jeune, sans expérience, mais enfant rebelle. Un vent d'orage se lève et un grondement se fait entendre dans le lointain, le passage, comme tout passage se fera par un combat, entre garder encore, faiblement, et acquérir avec force, maintenant.
Tchekhov est malade et ses forces l'abandonnent, la pièce lui donne du fil à retordre, mais en bon joueur il l'appelle comédie, dans la course avec l'inévitable vaut mieux rire. Commencée en 1901, la pièce est achevée en septembre 1903.
Vrai symbole du XXe siècle,
La cerisaie a souffert de la censure des officiers tsaristes, les derniers rebondissements d'une période en déclin qui s'accrochait encore à ce qui partait définitivement, génération incapable de s'adapter à une nouvelle Russie. Les tirades de Trofimov attaquent, critiquent, ironisent, s'envolent, mais il faut encore du temps, les ailes ne portent pas très loin.
Les symboles affluent, et comme de vrais personnages ils vivent le passage d'une époque à une autre, d'un passé épuisé qui ne tient plus la route vers un futur matérialiste, calculateur, pragmatique, qui va vite. Il n'y a plus de temps pour s'asseoir un peu avant de reprendre la route, plus de temps pour inspirer des sels, et le petit parasol est remplacé par la montre pour tenir le temps.
Deux mondes, deux vitesses, deux espaces, un passé et un futur qui ne peuvent pas se donner la main, l'un recule, l'autre avance.
La maison de la famille et
la cerisaie seront vendues aux enchères pour payer les dettes, mais peu importe, faut organiser une fête et engager des musiciens, et l'argent diminue tout aussi vite que les dettes s'accumulent.
Lopakhine, le marchand, va vite, est pratique, les autres se prélassent, essuient des larmes, s'accrochent aux souvenirs, au passé. le passage du temps vu comme action, projets, énergie, gain, par Lopakhine, est vécu par la famille comme vieillissement, nostalgie, fatigue, souvenirs, regrets, et l'espace que Lopakhine ouvre vers le monde et le commerce, est l'espace de la maison et de
la cerisaie pour Lioubov Andréevna, un environnement fermé, mais protecteur, comme un abri, un chez soi, même si le souffle commence à manquer, et l'énergie est affaiblie.
Mais
le drame n'est pas une tragédie, le Russe le vit avec la musique, le chant du cygne il l'accompagne de sa guitare. Si le passage du temps se veut tragique c'est avec le rire du comédien qu'il faut le vivre. Pas d'apitoiement.
Le sourire de
Tchekhov est celui d'une ironie tolérante, plutôt tendre et compréhensive, il n'accuse pas, ne défend pas non plus, regarde, observe, écoute, et comprend ce passage et plus encore ses personnages.