On refusait surtout de faire du cas par cas, comme ci, avant d'être élèves, nous n'étions pas des êtres humains, avec notre histoire singulière, nos particularités, et qu'il fallait à tout prix appliquer le même traitement à tout le monde.
Je suis devenue la victime consentante de mon groupe de copine et je ne sais plus comment revenir en arrière.
A l'école, on nous demande d'exister dans des limites étroites, clairement établies. De faire disparaître tout ce qui pourrait nous démarquer de manière trop nette, toutes nos réactions spontanées. On y apprend le contrôle total de la parole et du temps. On y apprend à se méfier de ses besoins, ou à les ignorer. On se lève quand on nous y autorise, on va aux toilettes et on mange en même temps que tout le monde, on chante quand on nous le demande, on ne bavarde pas, on ne rit pas, on ne pleure pas.
Être considéré peut tout changer. [p.20]
Il faut dire qu'à cette époque, je ne prête aucune attention à mon apparence. À cet âge-là [12 ans], la séduction je n'en ai rien à faire, ça me passe complètement au-dessus. Depuis que je suis toute petite, on me fait remarquer mon manque de féminité par rapport aux filles de mon entourage. Je m'habille avec des vêtements amples, qui me permettent de dissimuler mon corps. Sur mes photos de classe, je constate que je suis une collégienne tout à fait dans la norme. Je fais la même taille que toutes mes copines, la même corpulence, j'ai les cheveux de la même longueur, mi-longs. Pourtant, rien ne peut m'enlever du crâne que je suis atypique, conne, moche.
Mais ce que j’ai découvert à travers cette expérience douloureuse, c’est qu’il est plus dangereux encore de garder son mal-être enfoui, si bien dissimulé à son entourage qu’il n’en soupçonne pas l’existence. Les conséquences de ce silence peuvent être beaucoup plus violentes que ce que j’ai connu.
Dans une salle de classe, on sanctionne tout ce qui trahit ce que l'on ressent. Comment en est-on arrivé à l'idée que l'élève parfait est celui qui n'a pas de corps, pas de besoin, pas de sensibilité, pas de fragilités ? Je ne crois pas que ce formatage crée des adultes épanouis, libres, tolérants. Je ne crois pas que camoufler ses fragilités rende plus fort. Au contraire.
Il n'y a rien de plus courageux que d'admettre qu'on a besoin d'aide.
Ce que j’aimerais que l’on retienne de mon histoire, c’est qu’il n’y a rien à perdre à parler. On perdra peut être quelques amis, mais pas forcément les vrais. Dire que l’on va mal ne devrait pas être considéré comme de la faiblesse.
Il n’y a rien de plus courageux que d’admettre qu’on a besoin d’aide.
P-159
Je repense à la phrase de mon médecin traitant en 5eme. ''cest juste du stress''.
Non, c'est beaucoup plus sérieux que du stress, c'est de l'angoisse et de la souffrance que j'encaisse depuis des années. Ça me demande des efforts qui me vident de mon énergie, de ma joie. de mes envies. Et ce n'est pas parce ''légalelement'' je suis toujours une enfant que ce n'est pas grave et que je n'ai pas le droit à la même considération que n'importe quel adulte qui traverserait cette épreuve.