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Critique de DETHYREPatricia


Pour moi, deuxième roman de Jean Teulé (publié en 1998), lu après le Magasin des Suicides, sur recommandation de lecteurs passionnés qui connaissaient son oeuvre littéraire, ce qui n'était pas mon cas.

Que dire ?
Avant de faire ce retour, j'ai voulu vérifier si l'annonce faite au sujet de ce "roman" était vraie, à savoir qu'à travers ce personnage de Darling, il s'agissait de la narration-interview de la vraie vie d'une cousine éloignée de l'auteur. Ce point attesté, on en est encore plus saisi d'effroi. On aurait, en effet, pu penser qu'il y avait, de la part de l'auteur, une volonté romanesque de caricaturer son personnage principal ou encore les moeurs paysannes de la France profonde. Eh bien, non, l'auteur n'a fait que recueillir une parole douloureuse de la part de sa cousine et il l'a dramatiquement bien retranscrite sous des formes plurielles (la narration d'un narrateur omniscient, l'auteur / l'interview lorsque l'auteur demande à Darling des éclaircissements / la narration/introspection de Darling enrichie de nombreux dialogues) qui confèrent à l'ensemble des accents de véracité.

J'ai été absolument bouleversée par cette enfant mal-aimée, maltraitée, isolée, prisonnière d'une famille absolument dysfonctionnelle et violente, et qui grandira à la va-comme-je-te-pousse dans un environnement particulièrement sclérosé et névrosé.

Durant toute son enfance et son adolescence, elle vivra dans la merde, au propre comme au figuré (ses parents étant éleveurs de bovins en Basse-Normandie). Bien que peu instruite et limitée socialement, elle tentera à plusieurs reprises de s'en extirper (en fantasmant jusqu'à plus soif sur les routiers et leurs beaux camions qui passent devant sa chambre ; en travaillant en ville à la boulangerie locale et en bénéficiant de l'accompagnement bienveillant de ses patrons ; en tombant amoureuse du premier beau gosse venu (un routier of course, car il était hors de question pour elle de vivre avec un paysan) et en quittant, enfin, la ferme familiale.

En partant avec celui qui deviendra son mari, elle croyait qu'elle avait tiré le gros lot, qu'elle allait voyager avec lui et vivre ENFIN l'aventure à laquelle elle rêvait. La triste et dure réalité de la vie l'a vite rattrapée. Celui-ci est accro au jeu et à l'alcool. Insultes, mépris, violence verbale et physique, viols répétés (par lui et par d'autres), et même obligation de faire "ménage à trois" deviendront son lot quotidien (sauf quand, par bonheur, il est sur les routes)... Elle ne devra son salut qu'à la fuite... en laissant, le coeur déchiré, ses trois enfants. Darling est passée quasiment sans transition de souffre-douleur de ses parents à souffre-douleur dans sa propre famille ! Un état de faits que l'on retrouve d'ailleurs souvent... dès lors qu'un travail sur soi n'a pas été mené, à un moment donné.

La description des contextes, les mots prononcés, les actes perpétrés (tant par les parents, le frère aîné, le mari et ses potes de beuverie) sont particulièrement glauques et dérangeants. Comment est-il possible d'haïr ainsi un enfant ? Comment est-il possible de mépriser ainsi sa femme et la mère de ses enfants ? On se demande si ce n'est pas un peu exagéré, et l'on constate, hélas, que non. Tel est le lot, en France, au XXe siècle, de certaines femmes : bafouées, battues, violées et rendues à un rôle de serpillère sur laquelle les uns et les autres s'essuient.

A la lecture de tels faits, on a envie d'hurler. de dire, mais bouge-toi, bon Dieu ! Mais le lecteur extérieur ne peut pas imaginer combien les insultes, le mépris et les coups répétés à longueur de temps peuvent détruire toute estime de soi jusqu'à amener les enfants ou les femmes concernés à penser qu'ils méritent ce qui leur arrive.

Et puis, c'est sans compter avec une autre forme de violence : celle de l'institution. Bien que victime, c'est Darling qui se retrouvera en prison pour non paiement de pension alimentaire. On croit rêver ! Lorsqu'elle se sentira un tant soit peu reconstruite, elle cherchera à récupérer ses enfants... c'est elle qui sera alors mise sur la sellette et "devra faire ses preuves" pendant trois ans pour y parvenir.

Bref, vous l'aurez compris, une histoire de vie fort triste. D'autant plus triste, qu'à celle de Darling s'ajoutent celle de ses deux frères (également touchés par la dinguerie familiale), mais aussi celle de son amoureux transi dont elle ne veut pas car pas suffisamment exotique pour elle.
Un récit édifiant qui témoigne d'une certaine réalité, dans notre pays, car n'en déplaise à certains, malgré l'école pour tous, malgré la télé, malgré les magazines, malgré le tissu associatif, il reste encore ici ou là des familles particulièrement maltraitantes et des maris violents qui n'hésitent pas à tout détruire autour d'eux, parfois jusqu'au meurtre. Les statistiques nationales, au XXIe siècle, le montrent hélas.

Que dire donc ?
Une histoire de vie particulièrement bien écrite et rendue par l'auteur, mais qui traite néanmoins d'une douloureuse réalité : la violence faite aux enfants et aux femmes. Je suis ressortie de cette lecture totalement abasourdie et désespérée de la nature humaine. Donc, si vous n'avez pas le moral en ce moment, à éviter absolument !

A noter : ce roman a fait l'objet d'une adaptation au théâtre et d'un film en 2007 (réalisé par Christine Carrière), avec Marina Foïs dans le rôle principal.





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